Musique et Web 2.0 - Conférence au Krakatoa (2/2)

Publié le 14 mai 2008 par Mikatxu @crystalfrontier

Qu'est-ce que l'on entend principalement lorsque des gens qui téléchargent illégalement de la musique se justifient ? Une bonne partie des réponses est la suivante : "Il n'y a que de la soupe, c'est nul" "Il n'y en a que pour la Star Ac" ou alors "C'est trop cher pour ce que c'est". Au-delà de l'hypocrisie énorme qui préside à de telles réponses (et les labels indépendants ? et les artistes qui vivent de la scène et innovent ?), il y a une tentative pour infléchir cette inclinaison au piratage de feignantise, c'est de mettre les consommateurs de musique au centre du processus de sélection artistique, et même de son financement.

- L'internaute au coeur du processus -


Il y a la solution ludique d'un site comme beproducer. Le principe est simple : vous avez de l'argent (virtuel), vous le placez sur des artistes que vous appréciez et si ce dernier grimpe dans les charts, vous récupérez des sous, des vrais. Finalement, pour la maison de disques qui case ses artistes, c'est de la publicité gratuite que vous lui faites, et votre influence est récompensée (si elle est réelle bien sûr). C'est un peu le fantasme absolu des maisons de disques : pour un coût modique, vous pouvez lever une "armée" de gens qui vont faire la promo de votre artiste, avec l'espoir que le succès de votre artiste se répande sur le web. C'est l'hyper-distribution, et c'est une alternative envisagée aux campagnes de promotion traditionnelles qui voient leur coût au moins stagner, sinon augmenter.

Les internautes peuvent maintenant s'improviser également producteur. Les sites sont nombreux sur le créneau (déjà trop ?), avec Sellaband, Mymajorcompany ou encore Nomajormusik. La relation avec les fans est encore plus profonde avec ces sites là, puisqu'il y a investissement financier de la part des internautes, et la promesse d'un retour sur investissement si le poulain ainsi sponsorisé venait à lever suffisamment de fonds pour voir son album sortir. La somme nécessaire pour que l'étape ultime (sortie du disque) se concrétise vaire selon les sites, mais c'est souvent plusieurs dizaines de milliers d'euros. Le gain pour l'internaute prescripteur n'est pas que financier, il peut y gagner une relation plus proche entre l'artiste et ceux qui lui ont fait confiance, comme des dédicaces, places de concert, chat ou rencontres...

Bref, c'est l'émergence du Web 2.0 qui a permis ce renversement des rôles, avec un internaute créateur, qui apporte une nouvelle valeur en soi. C'est aussi ainsi que des courants comme le mashup (mélange entre deux oeuvres) ont pu trouver une nouvelle visibilité. Pourtant, il paraîtrait un peu osé de considérer cette part de la nouvelle interactivité comme fondamentale, car assez peu d'internautes sont effectivement producteurs, que ce soient de musiques mais aussi de vidéos ou autres.

- Conséquences de ces changements et perspectives -


Internet est venu modifier profondément les modes de consommation de la musique. Je dis consommation à dessein, car le terme d'écoute me semble trop restrictif.

Tout d'abord, la relation entre artistes et fans a été bouleversée. La disparition (parfois regrettable) des fanzines de l'époque a laissé la place à des outils plus performants, rapides et même parfois intimes pour créer cette relation qui est désormais la vraie valeur ajoutée à la musique. Les supports physiques tels qu'on les connaît sont en recul constant, et même si le vinyle affiche une certaine vigueur pour son âge, la multiplicité des sites qui offrent à écouter légalement et gratuitement de la musique, couplée à la vente numérique, ont entraîné l'obligation de chercher ailleurs une valeur ajoutée au simple produit. Parmi la masse de musique à laquelle nous sommes soumis, il est important de surnager et de s'extirper, et c'est ce que permettent les nouveaux outils. On l'a vu, les liens peuvent aller de la promotion de son artiste favori jusqu'à l'investissement financier. Pour cela, un nouveau type de métier est en train de voir le jour, des "community managers", qui auront en charge d'animer les communautés et de s'assurer que les artistes sont bien mis en avant : le but n'est pas de remplacer ces derniers, bien au contraire, mais de travailler à l'établissement d'une relation forte entre les fans et leurs musiciens favoris.

Ce qu'Internet a aussi modifié, c'est la mise à disposition de la musique qui a vu son prix fondre comme neige au soleil. Un jeune groupe peut mettre en ligne sa musique de multiples façons, toutes simples et économiques. La différence se fera ensuite sur la promotion, la bonne utilisation du buzz et tout ça, mais ce sera toujours plus facile de se faire entendre et plus économique qu'avec des supports physiques. Le seuil de rentabilité étant plus bas, on voit de plus en plus de morceaux / albums qui avant n'auraient pas vu le jour car moins rentables. Pour autant, le modèle économique est encore bien flou, et engendre incertitudes et donc fatalement une prise de risques moindres dans l'offre musicale.

Ainsi, les maisons de disques, ou plutôt les majors, ont une image à redorer et vite si elles veulent enrayer la chute de leurs ventes. Au lieu de commander des lois au gouvernement, elles devraient s'interroger sur l'offre musicale qu'elles proposent. Souvent recyclés jusqu'à plus soif, leurs catalogues ont tendance à promouvoir les mêmes artistes, les mêmes styles et ont engendré une certaine saturation chez le public. Certaines l'ont compris, comme Universal, qui a racheté V2, avec malheureusement pas mal d'artistes qui se sont fait renvoyer car pas assez rentables : dommage pour la diversité, et surout quel était l'intérêt d'un tel rachat, à part récupérer certains artistes ? Quand je vois une société comme EMI qui a quand même réussi à se mettre à dos des artistes notables, comme Coldplay ou encore Radiohead et Art Brut ! Un label indépendant, c'est aussi la certitude d'avoir des disques pointus, sélectionnés, de même que les artistes sont soutenus : c'est aussi un plus grand respect de l'acheteur, qui ne voit pas le prix du disque chèrement acheté varier dans des proportions scandaleuses d'un mois sur l'autre.

De plus, je suis assez circonspect sur l'innovation qu'est sensée représenter la possibilité pour les internautes de s'improviser producteurs. Est-ce que de cela va vraiment émerger de la nouveauté ? Ou alors, les internautes pourraient souhaiter un retour sur investissement rapide, et favoriser des artistes au style plus vendeur ? Il y a un manque de recul sur ce type de sites, donc il est difficile de juger, mais cela pourrait se révéler être une fausse bonne idée au final, à moins de fournir un travail éditorial derrière pour que tous les styles soient équitablement mis en avant.


Quoiqu'il arrive, même si la lutte contre le piratage est à mon sens tout à fait nécessaire, elle ne doit pas occulter la responsabilité des grandes maisons de disque qui ont contribué à cette situation d'incertitude(s). Le monde de la musique est à un grand croisement, entre supports physiques qui s'essoufflent, offre culturelle en hausse constante et des modes et moyens de consommation de musique qui ont évolué, et continuent de le faire. La responsabilité des amoureux de la musique est aussi d'encourager la création en soutenant ce qui plaît, et de chercher pour découvrir. C'est donc aussi à nous, amateurs et consommateurs de musique d'aider à cette diversité qui nous est chère.