L’Iran et Oman ont récemment signé un accord sur la fourniture de 10 milliards de mètres cubes de gaz par an par la République islamique au petit sultanat. Ce développement, passé relativement inaperçu, a une valeur emblématique.
L’annonce en a été faite lors d’une visite début mars de Hassan Rouhani au Sultan Qabous, le premier voyage officiel dans un pays arabe du président iranien depuis son élection en août 2013. Le gaz transitera par un gazoduc sous-marin qui est en construction entre le sud de l’Iran et le nord d’Oman, sous les eaux de l’approche occidentale du détroit d’Ormüz.
L’annonce de cette coopération renforcée entre les deux pays qui se font face sur l’un des détroits les plus stratégiques du monde illustre la nouvelle donne dans le Golfe arabo-persique. Et l’importance d’un nouveau venu à la table du « grand jeu » diplomatique et sécuritaire dans la zone la plus explosive de la Planète : le gaz naturel.
Cet accord est intervenu dans la foulée d’une ouverture cruciale: Oman a abrité les négociations secrètes lancées en mars 2013 entre des diplomates américains et iraniens, pour tenter de mettre un terme à prés de 35 ans d’hostilité entre les Etats-Unis et la République islamique.
Ces négociations ont abouti en janvier 2014 à un pacte temporaire, qui prévoit le gel du programme nucléaire iranien et la suspension des sanctions économiques internationales contre Téhéran.
Ces efforts de rapprochement doivent se poursuivre pour tenter de clore un chapitre noir ouvert le 4 novembre 1979: ce jour là, des « étudiants » iraniens ont envahi l’ambassade américaine à Téhéran, et pris en otages 52 diplomates qui resteront prisonniers pendant 444 jours.
Depuis cette terrible humiliation pour les Etats-Unis, Washington et Téhéran, qui détiennent les clefs de la stabilité dans le Golfe et au Levant, ont refusé de se parler directement ou ouvertement.
Cette hostilité a provoqué des guerres ouvertes ou secrètes, des attentats, des sabotages, et valu à l’Iran un régime draconien de sanctions économiques.
Les Etats-Unis ont eu comme stratégie constante d’isoler la République islamique et de tenter d’éliminer le « régime des mollahs ». Téhéran a tout fait pour contrer les efforts américains et combattre ce qu’il considérait comme l’hégémonie du « Grand Satan » dans la région.
Mais la donne a radicalement changé depuis que les Etats-Unis se sont découvert une nouvelle ressource énergétique: le gaz, et surtout la possibilité de devenir dans un avenir proche exportateur majeur de ce nouvel « or bleu ». Ils sont en concurrence dans ce secteur avec le premier marchand mondial de gaz: la Russie. Et la tension entre Washington et Moscou peut monter très vite comme l’illustre la crise en Ukraine, voie de passage des gazoducs russes vers l’Europe.
L’Iran aussi est un poids lourd mondial du gaz, troisième producteur derrière les Etats-Unis et la Russie. La République islamique partage avec le Qatar la « bulle » de gaz la plus riche du monde, le champ South Pars – North Dome, qui s’étend sous les eaux du Golfe.
Sur ce front énergétique, les Etats-Unis et l’Iran se retrouvent avec un objectif commun: réduire l’influence de la Russie et tenir à distance « l’ours gazier », un voisin historiquement trop entreprenant pour l’Iran.
L’enjeu du processus mis en route à Oman avec le dialogue américano-iranien est donc d’ampleur: pour les Etats-Unis, l’Iran doit être détourné d’une association trop étroite avec Moscou. Pour l’Iran, c’est une occasion à ne pas manquer de redevenir un partenaire incontournable des Etats-Unis dans la gestion de la sécurité dans le Golfe et au Moyen-Orient.
Le gaz, énergie moins stigmatisée que le charbon ou le pétrole, a le potentiel de remplacer le « brut » comme élément central des stratégies économiques, mais aussi diplomatiques et sécuritaires, des grands acteurs mondiaux.
Cette perspectives nourrit les inquiétudes de l’Arabie Saoudite, arbitre du marché du pétrole depuis 40 ans. Et partenaire privilégié du gendarme américain dans le monde arabe et musulman.
Mais elle inspire un nouveau pragmatisme à l’Iran, cible traditionnelle des convoitises de la Russie et de l’Occident, au moment où s’annonce les préludes d’une nouvelle « guerre froide ».