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Suppression de la gratuité du premier dimanche du mois au Louvre : y a-t-il vraiment une polémique ?

Publié le 18 mars 2014 par Aude Mathey @Culturecomblog

Vous avez très probablement suivi dernièrement les articles sur Louvre pour tous le mois dernier quant à la suppression de la gratuité pour tous le premier dimanche de chaque mois en haute-saison. Cette volonté du musée a même conduit à la création d’une pétition en ligne pour que le musée pense à ré-instaurer cette gratuité. De son côté, le musée avance que cette réflexion n’est pas nouvelle et permettrait de mettre en place une politique culturelle plus juste.

Une idée qui a fait son chemin

Le musée, joint fin février, souligne que c’est une discussion qui dure depuis plusieurs années. Le château de Versailles a d’ailleurs fait de même. La structure de ces deux musées nationaux est en effet un peu hors-norme. Environ 70% des visiteurs sont des étrangers (mais on ne sait pas si ces étrangers habitent en France ou sont là en tant que touristes) et bien qu’ aujourd’hui ces données soient lissées annuellement, le musée insiste sur le fait que la plus grande partie des touristes fait le déplacement en haute saison (de pâques à septembre) et pendant les vacances de Noël.

Musée du Louvre - © gx1000 - stock xchng

Musée du Louvre – © gx1000 – stock xchng

La gratuité du musée du Louvre le premier dimanche de chaque mois répondait initialement à un objectif de démocratisation culturelle en faveur des visiteurs nationaux et à la nécessité de favoriser l’accès au musée des publics les plus éloignées des pratiques culturelles.

Selon le musée,

si cet objectif a été partiellement atteint au cours de la dernière décennie, l’augmentation du nombre de visiteurs (5 millions en 2001 ; 9,3 millions en 2013) et le caractère particulier du musée du Louvre en matière de fréquentation (70 % des visiteurs sont étrangers) a conduit à des phénomènes d’hyper-fréquentation (30 000 à 38 000 visiteurs lors ces dimanches) pouvant toucher à la sécurité des personnes et des œuvres. Cette hyper-fréquentation avait également un impact négatif sur la satisfaction des visiteurs (file d’attente importante, qualité de la visite…) et sur les conditions de travail des agents du musée.

En outre, les études effectuées auprès des publics ont révélé que le nombre des primo-visiteurs était en forte baisse lors de ces « dimanches gratuits », tandis que la fréquentation des visiteurs étrangers augmentait considérablement, en particulier à l’initiative des agences touristiques profitant de cet effet d’aubaine pour organiser un grand nombre de visites à ces dates.

C’est pourquoi il a été décidé en novembre 2013, avec l’aval du ministère de la Culture, de supprimer les dimanches gratuits d’avril à septembre, période marquée par les fréquentations les plus importantes, cette mesure ne répondant plus en effet, pour cette période, à ses objectifs initiaux. La gratuité du premier dimanche du mois est conservée pour la période allant d’octobre à mars.

Cependant, on pourrait rétorquer à ces points-ci que les visiteurs sont 63% globalement très satisfaits (Rapport sur la fréquentation des visiteurs 2012) et que les visites de groupes de plus de 10 personnes sont interdites au Louvre lors des gratuités de ces dimanche.

Selon le musée cette gratuité touchait un public autre que celui qui était visé (mis à part les étudiants qui avaient une très bonne connaissance de cette mesure) et avait, lors de jours de grosse affluence un effet repoussoir. Enfin, le musée grâce à ses autres tarifs offre la visite à 39% des visiteurs du musée. Ainsi, selon le musée du Louvre, la visite familiale bien moins onéreuse que le cinéma ou le parc d’attraction. Certes. Mais ces deux derniers, ne dépendent pas des fonds publics et des subventions dans les mêmes proportions que le musée du Louvre. Difficile donc de pouvoir comparer.

Le musée exclut-il un nouveau public ?

Selon le musée du Louvre, c’est moins l’envie de rentabiliser le ticket d’entrée qui a motivé cette décision que la volonté d’éviter l’effet d’aubaine et surtout de rendre la gratuité du dimanche accessible aux français qui y participent via leurs impôts. Cette remarque, malheureusement pour le musée, souffre de deux gros problèmes à mon avis :

  • il est difficilement envisageable au musée de procéder à des vérifications de nationalité lorsqu’on connaît son affluence,
  • quand on sait qu’il y a un demi-million d’immigrés vivant à Paris (et y travaillant et y payant ses impôts, n’en déplaise à certains), cela serait extrêmement malvenu de ne réserver le musée qu’aux seuls français. (Recensement Insee 2010)

Ce dernier point vient d’ailleurs questionner la méthodologie selon laquelle le musée comptabilise les touristes. Aujourd’hui, il semblerait qu’étranger égale à touriste.

De plus, il semblerait que la gratuité offerte le premier dimanche de chaque mois, il y ait plus de Rmistes, de chômeurs et d’étudiants que les autres jours, lors desquels ils ont également un accès gratuit. Peut-être le fait de justifier sa situation sociale entraîne-t-elle un frein auprès de ces visiteurs ?

Enfin, Claude Fourteau, dans une très bonne étude de 2008 auprès du ministère de la Culture et de la Communication,  La gratuité au bois dormant… Cinq ans de gratuité du dimanche au Louvre 1996-2000, soulève deux points très importants :

  • le dimanche gratuit est la seule journée où le public national est majoritaire au musée du Louvre même si la gratuité a eu un fort effet sur les visiteurs étrangers dont la fréquentation est 20 points plus importante un dimanche gratuit qu’un dimanche payant ;
  • la moitié des franciliens et le tiers des provinciaux ne seraient pas venus sans la gratuité. Cette dernière a surtout un impact sur les actifs, mais, surprise, sur les employés et les ouvriers.

Il semblerait que le musée et le ministère aient oublié cette étude, ce qui est malheureux.

Cependant, une bonne nouvelle pourrait sortir de cette mesure, à première vue très inégalitaire. Une source proche du musée souligne en effet que des mesures de compensation pour toucher des publics en difficulté (comprendre à grande distance culturelle, selon Claude Fourteau) seraient à l’étude. Une première piste évoquée serait de travailler avec des associations proches des publics qui ne partent pas en vacances l ‘été afin de pouvoir les approcher à cette période, plus favorable à la découverte. Une deuxième piste ciblerait des publics ayant une grande appréhension vis à vis de la culture (publics analphabètes, en prison, femmes en difficulté, etc.).

Que la suppression de la gratuité du premier dimanche du mois en haute-saison puisse permettre au musée du Louvre de financer des actions en direction des non-publics en cette période de vaches maigres est une excellente nouvelle. Une telle politique redonne un sens au mot solidarité. Cependant, je reste convaincue que de supprimer la gratuité d’avril à septembre inclus est bien trop long et pas forcément pertinent. Limiter cette suppression de mai à août inclus aurait été à mon sens une meilleure idée pour tester la mesure dans un premier temps afin d’en valider l’efficacité et la récurrence.


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