Ce lundi 17 mars 2014 à partir de 5h30 est appliquée la réglementation de la
circulation alternée à Paris et dans vingt-deux communes des départements limitrophes pour endiguer le pic de pollution aux particules fines apparu avec l’anticyclone depuis plus d’une semaine.
Une décision du gouvernement assez contestable pour plusieurs raisons.
Les amoureux des couchers du soleil ont dû s’en rendre compte la
semaine dernière en admirant l’astre en fin de journée : plus les jours passaient, plus le soleil devenait opaque au moment de se coucher sur l’horizontale à l’ouest. Pourtant, aucun nuage,
mais une sorte de brume très opaque qui ne s’aperçoit que par ce genre d’observation : la pollution aux
particules fines a finalement mis les pouvoirs publics en alerte.
Les particules fines, un véritable fléau pour la santé
Les particules fines, ce sont des particules qui restent en suspension dans l’atmosphère parce qu’elles sont
trop légères. Elles sont d’un diamètre inférieur à 2,5 micromètres et peuvent donc s’intégrer dans toutes les parties du corps lorsqu’elles sont respirées. Le seuil d’alerte est de 80
microgrammes par mètre cube sur 24 heures, ce qui est déjà un niveau très important car l’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise de ne pas dépasser 35 microgrammes par mètre cube sur
24 heures et de ne pas dépasser 10 microgrammes par mètre cube sur 24 heures en moyenne sur un an.
Ces particules fines sont responsables de 1,4% des décès dans le monde et leur inhalation réduisent en Europe
l’espérance de vie de neuf mois. Dans l’Union Européennes, ces particules sont responsables d’une perte annuelle de 4 millions d’années de vie, soit près de 390 000 décès prématurés chaque
année (c’est-à-dire de morts qui surviennent en moyenne dix ans avant l’espérance de vie normale), dont 42 000 en France (essentiellement en raison des maladies respiratoires et
cardio-vasculaires). En Chine, le taux moyen de particules fines émises chaque jour est de 90 microgrammes par mètre cube et parfois, il y a des pics en janvier qui atteignent 900
microgrammes par mètres cube pour une journée !
Prise de conscience et réaction des pouvoirs publics
Certes, la situation est moins catastrophique qu'il y a vingt ans. Ainsi, en 1991, la France avait émis
570 000 tonnes de particules de moins de 10 micromètres de diamètre et en 2011, le niveau était réduit de moitié, avec 255 000 tonnes. Mais cela reste encore élevé et la France va
probablement être condamnée par la Cour européenne de justice pour non respect de la directive sur l'air.
Il est donc logique que les pouvoirs publics réagissent pour limiter cette pollution, d’autant plus qu’en France, on a pris conscience très tardivement de ce type de pollution (il n’est pas rare
de voir à Pékin ou dans d’autres grandes métropoles asiatiques la plupart des habitants porter un masque à particules lorsqu’ils sortent de chez eux). Cette pollution fait le même effet que le
tabagisme passif.
Pendant le week-end (et avant aussi), les vitesses ont donc été limitées de 20 kilomètres par heure en deçà
des vitesses autorisées en général. Soit 70 km/h sur les nationales et 90 km/h sur les autoroutes. On peut imaginer que cette vitesse réduite, qui ne demande pas un effort insurmontable aux
automobilistes, va dans le sens d’une réduction de la pollution atmosphérique. Il est cependant très regrettable que, selon mon observation, la très grande majorité des automobilistes ne respecte
pas cette réduction de vitesse, alors qu’elle est clairement affichée partout sur leur trajet. Mais cette vitesse réduite ne semble pas suffisante.
La circulation alternée pour ce lundi 17 mars 2014
Après bien des atermoiements durant toute la semaine, une pression continue des écologistes et l’accord final du Premier Ministre Jean-Marc Ayrault, la réaction
du gouvernement a donc été de prendre une décision très importante le samedi 15 mars 2014 : d’imposer la
circulation alternée à Paris et dans la Petite couronne. Ce qui signifie que les véhicules dont le numéro d’immatriculation est pair sont interdits de circulation à Paris et autour de Paris
les jours impairs, et inversement. L’objectif est de réduire la pollution.
En clair, seuls, certains véhicules d’urgence et les véhicules professionnels sont autorisés, et également
ceux qui font du covoiturage (minimum, trois personnes transportées par voiture). Notons que les véhicules dont les chauffeurs possèdent une carte d’identité professionnelle de journaliste ne
sont pas non plus concernés. Notons en revanche que les voitures de location ne bénéficient pas de cette dérogation : il faut donc bien vérifier le numéro d’immatriculation en cas de
circulation alternée.
Pour encourager les transports en commun, ceux-ci sont complètement gratuits en région parisienne. L’effort
n’est donc pas seulement pour les particuliers mais aussi pour les collectivités publiques, la SNCF et la RATP. La gratuité coûte 4 millions d'euros par jour au conseil régional.
En cas d’infraction, la sanction n’est cependant pas très dissuasive : l’amende correspond à une
contravention de deuxième classe, soit de 22 à 75 euros, assortie d’une mesure d’immobilisation du véhicule éventuellement suivie d’une mise en fourrière, conformément aux dispositions des
articles L. 325-1 à L. 325-3 et R. 411-19 du Code de la route. Trois mille procès verbaux avaient été déjà dressés à 10 heures 30.
L’effet ce lundi matin ne s’est pas fait attendre : à 8 heures du matin, le Centre national
d’information routière comptait seulement 90 kilomètres de bouchons dans la région parisienne contre de 200 à 250 kilomètres habituellement à la même heure. Le fait qu’on réduise de moitié les
bouchons n’est évidemment pas un miracle en interdisant à la moitié du parc automobile de circuler, c’est donc logique.
C’est toutefois une décision draconienne qui peut être très contestable.
Inégalité, atteinte aux libertés et inefficacité
Elle est contestable car elle remet en cause la liberté de circulation, l’égalité de tous et surtout, elle
n’a pas un impact proportionnel à l’effort consenti.
En effet, pour éviter toute paralysie économique, le gouvernement autorise la circulation de tous les
véhicules professionnels (camionnettes etc.), qui sont généralement les plus polluants. Mais se déplacer pour aller à son travail correspond aussi à l’activité économique : ne plus pouvoir
se rendre à son lieu de travail est un obstacle économique aussi fort qu’interdire les véhicules professionnels. Deux poids, deux mesures.
De plus, il y a beaucoup de cas où un couple peut posséder deux véhicules : chance pour eux si leurs
numéros n’ont pas la même parité. La prochaine fois qu’il faudra faire sa carte grise, sera-t-il possible de donner une préférence sur la parité du numéro d’immatriculation ?
Mais ce n’est ni l’égalité (à l’interprétation difficile à apprécier, jusqu’où mettre les limites des
dérogations ?) ni la liberté (elle est réglementée dans un fragile équilibre avec la santé publique, on peut en dire autant pour l’interdiction de fumer dans les lieux publics ou même pour
les mesures en faveur de la sécurité routière) qui rendent cette décision vraiment contestable. C’est le fait qu’elle aura un impact très limité
voire négligeable sur la pollution qui sévit actuellement.
Car la bonne question, c’est d’abord : d’où viennent ces particules fines ?
L’origine des particules fines
Et les réponses, si elles sont assez complexes à formuler, sont relativement convergentes selon les
différentes études qui ont été réalisées dans ce domaine. Une réponse est notamment affichée sur le site du Ministère de l’Écologie qui affirme que ces particules fines proviennent du secteur des
transports pour seulement 14% d’entre elles. 14% ! Et il ne faut pas oublier de prendre en compte dans ce résultat le transport maritime (les moteurs sont rarement aussi élaborés que dans
l’industrie automobile) et aérien.
La plupart des particules fines proviennent du chauffage au bois, qui a été encouragé pour des raisons de
réchauffement climatique sur le chauffage au fioul ou au gaz.
Injustice également pour l’interdiction des véhicules à essence en cas de circulation alternée, puisque,
selon une étude sur la région parisienne, dans la production de particules fines issues du trafic routier, 90 à 95% proviennent des véhicules au diesel (50% des véhicules de particuliers, 20 à
35% des véhicules de livraison et 10 à 20% des poids lourds) et seulement 5% proviennent de véhicules à essence (essentiellement des deux roues ; les véhicules "quatre roues" à essence
contribuent à moins de 1% à la production de particules fines). L’interdiction de circuler des véhicules à essence, non producteurs de particules fines, est donc à la fois injuste et stupide.
Autre information, concernant l’agglomération parisienne entre septembre 2009 et septembre 2010 : il y
avait en moyenne 14 microgrammes de particules fines par mètre cube chaque jour (soit supérieur de 40% aux recommandations de l’OMS). Et parmi elles, seulement 32% ont été produites en région
parisienne (dues au chauffage et au trafic routier). Pour 68% d’entre elles, elles proviennent d’autres régions (dont 6% pour le trafic routier extérieur à la région parisienne et 5% pour le
trafic aérien et maritime). Cela veut dire qu’en bonne logique, il faudrait aussi instituer la circulation alternée à l’extérieur de la région parisienne (dans ces statistiques, la circulation
intrafrancilienne a un impact de 8% des particules fines présentes et la circulation extrafrancilenne a un impact de 6%, donc pas très éloigné !).
Le pire, et cela ne semble pas faire une grande publicité dans les médias, c’est que depuis quelques jours,
avec quelques vents venant du nord-est, beaucoup de particules fines proviennent en fait des mines de lignite à ciel ouvert en Allemagne, mines réouvertes en raison de la décision dogmatique d’en
finir avec l’énergie nucléaire…
Brassage d’air médiatique et prise de conscience
En clair, cela veut dire que le "sacrifice" demandé aux particuliers n’est pas à la mesure de l’impact
quasiment négligeable que cela aura sur la qualité de l’atmosphère. Ce n’est que "brasser de l’air" médiatiquement pour laisser entendre que le gouvernement agit face à la pollution (depuis la
canicule de l’été 2003, les gouvernements ont une angoisse viscérale de se voir reprocher l’inaction face à des phénomènes météorologiques incontrôlables). Mais concrètement, un changement de
météo aura bien plus d’impact que la circulation alternée dans quelques communes franciliennes.
Cela aura cependant un avantage non négligeable : la prise de conscience par la population des enjeux,
de la gravité de la situation de pollution aux particules fines, et de ses conséquences en terme de santé publique.
Paris n’est pas une ville seulement parisienne
Les pouvoirs publics, et en particulier les élus écologistes et les élus parisiens, devraient cependant
comprendre que Paris n’est pas une ville seulement parisienne mais surtout francilienne. À cause de la structure étoilée, ce ne sont pas deux millions de parisiens mais onze millions de
franciliens qui circulent dans Paris.
Ils devraient comprendre que pour réduire la pollution dans la ville de Paris, il aurait fallu augmenter et
pas réduire le nombre de places de stationnement disponibles (une étude avait fait d’état de l’augmentation non négligeable de la durée moyenne pour chercher à se garer, d’où la pollution
supplémentaire).
Ils devraient comprendre aussi que si de nombreux franciliens bravent chaque matin les impossibles bouchons
franciliens, ce n’est pas par amour fou pour leur automobile ni par individualisme forcené mais parce que les transports en commun ne répondent pas à leurs contraintes personnelles, et leur
gratuité ne changera pas grand chose à l’affaire.
Ils devraient comprendre enfin que le covoiturage n’est une solution que très particulière et heureuse de
situations qui, dans leur généralité, restent complexes à gérer collectivement dans leur nécessité individuelle (impératifs professionnels, enfants, activités périscolaires, vie privée,
etc.).
La logique Shadok à l’œuvre…
Réduire la pollution atmosphérique doit être une priorité majeure pour tout gouvernement. Il est dommage qu’à
une semaine du premier tour des élections municipales, ce gouvernement, sous pression insensée des écologistes qui ne représentent qu’une infime proportion de l’électorat, puisse avoir pris cette décision de circulation alternée qui n’aura aucun impact sinon psychologique
sur cette pollution.
Comme pour l’écotaxe, il est décidément difficile de
répondre avec pertinence et efficacité à des défis pourtant bien réels.
Aussi sur le
blog.
Sylvain
Rakotoarison (17 mars 2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
L'écotaxe en question.
Comment réduire encore plus le nombre de morts sur les routes ?
La sécurité
routière en février 2011.
La neige sur les routes franciliennes.
La vitesse, facteur de mortalité dans tous les cas.