LE PÈRE JUDAS (d'après Maupassant)
Nous nous promenions le long d’un étang.
Je vis soudain une maison délabrée.
Sur un des murs figurait
Une croix tracée avec du sang.
-« Joseph, qu’est-ce que cela ? »
-« C’est la maison de Judas. »
-« Judas ? Quel Judas ? »
Mon compagnon de marche ajouta :
-« Le Juif errant. Une curieuse histoire.
Un vieillard est passé par là un soir.
Il demanda l’aumône à la misérable
Qui habitait cette chaumière.
-« Asseyez-vous, le père,
A-t-elle dit au pauvre diable,
Tout ce qui est ici est à tout le monde
Car ça vient de tout le monde ! »
Le vieillard la remercia de son accueil,
Partagea le pain,
Le vin,
Et sa couche de feuilles.
Comme la pauvresse chétive
N’allait ni à la messe,
Ni à complies, ni à confesse,
On l’avait surnommée la Juive.
Quant à lui, on commença ici et là
À l’appeler Père Judas.
Tous deux erraient
Sans arrêt,
La main tendue aux portes des maisons,
Débitant mille supplications.
Un jour, un riche paysan
Donna au père Judas.
Deux cochons vivants.
Peu après, la juive décéda.
Judas l’enterra dans son pré.
C’était des gens de si peu qu’on s’en moqua.
Pour se nourrir, Judas de nouveau mendia
Mais on ne lui donnait plus un fifrelin.
Il disparut lui aussi un beau matin.
Quand on ouvrit la porte de la masure,
Les deux cochons détalèrent à toute allure.
À l’intérieur, on trouva une paire de brodequins
Et des loques couvertes de sang.
Indubitablement,
Judas avait été dévoré par les porcins. »
Je n’ai demandé à mon compagnon
Ni comment des cochons même affamés
Avaient pu manger un vagabond
Ni pourquoi
On avait tant fantasmé
Sur le sang d’une croix…