Magazine Culture
Dans Passage du désir,
en 2004, Dominique Sylvain a lancé sur le terrain un couple improbable
d’enquêteuses que rien ne destinait à courir ensemble sur les traces de
criminels. Lola, qui fut commissaire du 10e arrondissement parisien,
a quitté ses fonctions un an avant la retraite, minée par la mort d’un agent,
Toussaint Kidjo. Elle se consacre à des puzzles qu’elle accompagne de porto et
ne néglige aucune autre boisson alcoolisée ni les excellents plats préparés par
Maxime, le patron des Belles de jour
comme de nuit. Son amie Ingrid est une Américaine sportive qui tente de
survivre à Paris en combinant deux professions, masseuse le jour et, la nuit,
effeuilleuse vedette du Calypso, un
cabaret classieux. Mais ces deux-là, « les
infernales pétroleuses du canal Saint-Martin », se complètent
admirablement dès qu’une affaire les passionne.
La mort de Florent Vidal a de quoi susciter la curiosité de
Lola, qui entraîne donc sa comparse dans l’aventure. L’avocat de Richard
Gratien a été retrouvé à moitié carbonisé, avec un pneu autour du cou. Comme
Toussaint Kidjo, cinq ans plus tôt. La méthode des meurtres évoque l’Afrique,
dont Toussaint était originaire et où l’avocat se rendait souvent en compagnie de
Gratien. Celui-ci trempe en effet dans les combines les plus sordides de la
Françafrique, puisqu’il sert d’intermédiaire dans le secteur de l’armement. « Un maillon fort de la Françafrique
qui tutoyait les pontes du Quai d’Orsay et de la Défense. » Commissions
et rétrocommissions à la clé…
Certains crimes sont plus sensibles que d’autres, et on ne
va pas tarder à comprendre que celui-ci en fait partie. Cela s’agite dans les
hautes sphères, en raison des secrets que Vidal détenait et qu’on a peut-être
voulu lui extorquer. Ils sont nombreux à trembler, parmi ceux qui ont tiré
bénéfice de transactions pas très nettes. Hommes de pouvoir, ils ont les moyens
d’exercer des pressions sur la hiérarchie policière afin que l’enquête ne
respire pas de trop près les effluves de l’argent sale. Tandis que, dans la
police, le divisionnaire Mars aimerait s’offrir un coup d’éclat avant de se
retirer.
Au milieu de ce jeu embrouillé, Lola et Ingrid sont des
chiens fous qui s’ébattent sans règles sur un terrain très balisé. Au risque de
saccager des réputations bien installées. De provoquer, involontairement, la
mort d’un des protagonistes. De court-circuiter des plans laborieusement
établis…
Tout cela est aussi réjouissant, du point de vue de
l’énigme, qu’effrayant si l’on prend en compte les implications des uns et des
autres ainsi que leur totale absence de scrupules.
Mais Dominique Sylvain va plus loin dans la sophistication
du récit. Elle a monté, avec des personnages tous dotés d’une biographie
complète et complexe, une formidable machination qui fait des uns et des autres
les pions d’une partie dont on ne découvrira les véritables enjeux qu’à la fin.
Et encore. Dominique Sylvain n’a pas pour habitude de lâcher ses lecteurs dans
une situation confortable.