"Elle vaut son pesant de sel marin."
Photo Antonia BOZZI
De Paul Claudel, on connait surtout Partage de Midi, Le soulier de satin ou encore L'Echange. Des oeuvres où la passion est évoquée dans une langue soutenue, aux envolées lyriques. Protée est moins connu. Plus atypique aussi : en l'écrivant, Claudel a voulu donner dans la farce. Cette courte pièce, mise en scène par Philippe Adrien la saison dernière, est reprise actuellement au Théâtre de la Tempête.
S'inspirant d'Homère et d'Eschyle, Claudel imagine Ménélas et Hélène après la guerre de Troie s'échouant sur l’île de Naxos où vit le vieux Protée, dieu des métamorphoses. La nymphe Brindosier, captive de celui-ci, voit dans leur naufrage un moyen de quitter l'île. Elle va pour cela tenter de convaincre Ménélas qu'elle est la vraie Hélène et que celle qui l'accompagne n'est qu'une pale copie.
Photo Antonia BOZZI
Des nymphes, des satyres, un Ménélas très beta et une Hélène quelque peu prétentieuse : voilà les personnages imaginés par Claudel. On est loin des amours contrariés de Mesa et Ysé ! Pour renforcer l'effet comique, Philippe Adrien a conçu la pièce tel un songe, une rêverie alcoolisée de Claudel à l'issu d'un banquet trop arrosé, et a ainsi ajouté un délicieux prologue hommage au cinéma muet. La table du banquet sera le seul élément de décor, devenant un théâtre de marionnettes puis l'embarcation grecque qui ramènera Ménélas et Hélène (mais laquelle ?) à Sparte.
Côté interprétation, Mathieu Marie joue à merveille ce Ménélas pas très futé, enchaîné à une Hélène figée dans sa posture d'icône. Quelle magnifique idée d'avoir confié le rôle à la comédienne Marie Micla à la plastique si ... irréelle ! Mais c'est Eléonore Joncquez qui nous a le plus ébloui dans le rôle de Brindosier, tantôt midinette allumeuse, tantôt froide calculatrice.
Ce qui surprend le plus au final, c'est le texte. Incroyablement moderne. Au point qu'après la pièce, on ne put s'empêcher de questionner Philippe Adrien sur l'ampleur des modifications apportées à l'oeuvre originale. Adaptation ? Qui nenni ! Quelques mots ajoutés ici et là, certes, s'empressa-t-il de nous expliquer mais l'intégralité du texte est bien signé Claudel, promis, juré! On resta alors sans voix en repensant à la scène où Brindosier et Hélène discutent tissus et bijoux telles des fashion-victims dans un rayon du Bon marché. Le spectacle vaut donc vraiment le détour : une heure de plaisir où l'on rit beaucoup et où l'on ne cesse d'être étonné.
Protée de Paul Claudel, mise en scène Philippe Adrien. Avec Dominique Gras, Eléonore Joncquez, Mathieu Marie, Marie Micla, Jean-Jacques Moreau ou Pierre-Alain Chapuis. Au Théâtre de la Tempête, du mardi au samedi 20h, le dimanche 16h, jusqu'au 13 avril 2014. Réservations au 01 43 28 36 36. Durée 1h10
A voir aussi : le site internet de la Société Paul Claudel, visant à promouvoir l'oeuvre de cet auteur.