D’abord réfugié dans l’Aude, il part quelques années à Paris puis s’installera définitivement sur la Côte d’Azur au début des années 60. "J’avais le choix entre faire le service militaire en France et obtenir la nationalité ou rentrer en Espagne. Je n’ai pas hésité une seule seconde." À Nice, jusqu’à la mort de Franco en 1975, il était l’un des animateurs de la CNT espagnole en exil, le puissant syndicat anarchiste qui a combattu pendant la guerre civile et dont des milliers de militants ont été condamnés à l’exil, à la mort et à la prison. Il me raconte comment, pendant des années, ils ont aidé, grâce à un contact qui allait souvent en Espagne, des espagnols à venir en France. Ensuite il les emmenait à Villefranche où des pêcheurs italiens les conduisaient en Italie, ou ils étaient plus en sécurité.
"C’était pas ma guerre; la guerre c’est de la merde, surtout si tu n’as rien à gagner, ce qui était mon cas". C’est Zoran, un Serbe de Bosnie, qui me dit ça. Mobilisé lors de la guerre en Yougoslavie il passe trois ans et demi dans l’armée. Après un an et demi sans voir sa femme on lui accorde une permission pour la visiter. "J’ai saisi l’occasion. J’ai pris ma femme et mon fils et je suis parti. En guerre chacun cherche sa ruse. Nous sommes allé à Paris car j’avais un ami là-bas qui pouvait m’aider." Il me raconte, que dans sa ville d’origine, Travnik, la moitié des habitants ont fui à cause de la guerre. Contrairement à d’autres réfugiés que j’ai rencontrés, il n’a aucune plainte à formuler: "C’est très bien organisé. T’as tout perdu. Tu débarques sans rien et ils te donnent tout." Grâce à l’organisme France, Terre d’Asile, à Paris, et à ATE Accueil Travail Emploi, à Nice, il a obtenu un logement dans le quartier de l’Arianne. Il a appris le français et obtenu la nationalité française. Cela fait maintenant 20 ans qu’il habite à Nice et il ne compte pas revenir dans son pays d’origine.
Ansar, par contre, ne rêve que de retour. "J’ai tout là-bas: mon futur, mon poste de professeur, ma famille, mes amis." Il est Syrien et depuis 2010, à cause de la guerre, il n’a pas pu rentrer. Il est docteur en mathématiques mais travaille comme chauffeur pour une entreprise de tourisme. C’est dans son véhicule, entre deux services, que je le rencontre. Il est arrivé à Nice en 2004, à 22 ans, avec une bourse de l’État syrien pour suivre ses études. Tous les ans il rentrait chez lui, en vacances, à Al Qusayr, dans la région de Homs, jusqu’en 2011; alors son père lui a dit de pas revenir, de patienter. "La ville est à côté du Liban et c’est un passage obligé pour les milices du Hezbollah." C’est également en 2011 qu’il soutient sa thèse et que son permis de séjour expire. À l’époque l’asile n’est pas encore facilement accessible pour les Syriens. Il s’inscrit à la faculté de Lettres, en licence d’anglais, juste pour renouveler son titre de séjour. En 2012 il présente sa demande d’asile et l’obtient au bout de 10 mois, pour une période de 10 ans. Entretemps il apprend que sa ville a été complètement rasée par les forces gouvernementales et que ses 30.000 habitants ont dû fuir. Sa famille se trouve maintenant au Liban. "Je suis pas un vrai réfugié", me dit-il lors de notre première conversation téléphonique. C’est qu’il compare sa situation à ceux qui ont vu les horreurs de la guerre et ont été contraints à la fuite. Pourtant il ne peut pas rentrer dans son pays, car il est réclamé par la justice; il aurait dû revenir pour faire son service militaire et maintenant on lui demande de rembourser sa bourse. Ansar est un homme généreux et très serviable; il me rappelle plusieurs fois pour compléter les informations qu’il aurait pu oublier. Son seul souhait maintenant est que l’OFRA, l’Office Français des Réfugiés et des Apatrides, lui concède un permis de voyage pour aller visiter sa famille au Liban. Je rencontre Martine, du groupe d’Amnesty International pour les réfugiés, à la maison d’Amnesty à Nice, derrière le lycée Masséna. "Les réfugiés sont très nombreux dans la région". À AI ils s’occupent seulement des demandeurs d’asile, c’est d’ailleurs le seul domaine où ils réalisent du travail de terrain. "Les autres migrants sont orientés vers des associations spécialisées dans leur situation." Martine est de Menton et a particulièrement suivi l’arrivée subite de réfugiés du "Printemps arabe" à Vintimille en 2011. "Parfois les gens ne savent pas qu’ils ont droit à l’asile, ils sont désemparés… Notre travail est de les accompagner dans leurs démarches, de préparer leur dossier pour la Cour Nationale du Droit d’Asile. Pour cela on les suit parfois pendant des années." Face à des situations dramatiques, elle estime qu’elle tient le rôle que devrait jouer l’État. "Il y a trop de cas extrêmement douloureux non pris en compte. Je me souviens d’une famille tchétchène, avec 6 enfants, qui a reçu une aide de l’État français pour rentrer chez elle. Le père a été arrêté dès son retour, emprisonné et torturé pendant 7 mois. Heureusement ils ont pu revenir à Nice et demander l’asile." Pour Martine, la France est loin d’être un paradis pour les réfugiés. Son espoir c’est la réforme promise du droit d’asile. Amnesty a fait des propositions auprès de la Commission des Lois. Mais, pour l’instant, Martine se dit "déçue" de l’attitude du gouvernement.
Il existe plusieurs associations sur Nice qui s’occupent des réfugiés et des sans-papiers en général: Forum Réfugiés, le Secours Catholique, la CIMADE, Habitat et Citoyenneté… Je suis parti retrouver cette dernière. C’est Hubert, un vétéran volontaire pour diverses ONG qui m’accueille. Il m’explique les démarches administratives à suivre pour un réfugié: tout d’abord une domiciliation et une demande de dossier à la préfecture. Le dossier est ensuite traité par l’OFRA. Il y a près de 100.000 dossiers par an dont le traitement est accepté et environ 30.000 demandes sont accordées. En ce moment ils reçoivent beaucoup de Libanais, de Kosovars, de Jordaniens, de Tchétchène, de Nigérians… Pour Hubert "l’accueil en France est répressif". Il donne cet exemple: "Une femme sans-papiers n’est prise en charge (logement, soins médicaux…) qu’au huitième mois de grossesse". Et il me rappelle une réalité qu’on oublie souvent: "la plupart des réfugiés se déplacent entre pays du sud, pas du sud au nord". Hubert a vécu plusieurs années en Afghanistan, pendant la guerre, et il connaît un peu les langues locales. C’est pour cette raison que Noradin, un jeune Afghan de 18 ans qu’il a accueilli chez lui il y a quelques mois, se sent très à l’aise avec lui. Noradin avait 15 ans quand sa famille lui a dit de partir. Les dangers, liés à la guerre contre les talibans, étaient trop importants. Il s’est d’abord réfugié au Pakistan, puis en Iran et en Turquie. À chaque fois il passait la frontière de façon clandestine, car il ne possédait aucun document d’identité. "J’ai vu des amis mourir aux frontières parce qu’ils ne s’arrêtaient pas aux contrôles." Dans ces pays il séjournait dans des communautés afghanes et passait ses journées à la mosquée. Il est ensuite passé en Grèce. Durant la traversée, sa barque a coulé et il est arrivé à la nage jusqu’à la côte. "Plusieurs des personnes avec qui j’étais sont mortes noyées."
C’est en Grèce que Noradin a vécu le pire épisode de son calvaire. "Il n’y avait pas de travail et les immigrants sont très mal traités. À Athènes j’ai été kidnappé par une bande organisée." Il me raconte que c’est assez fréquent. Je lui propose une cigarette et on va fumer à l’extérieur. Il est très souriant, plein de vie et raconte avec beaucoup d’enthousiasme son histoire. Il parle assez bien le français mais il y a des passages qui m’échappent. "La traversée de la Grèce à l’Italie a été l’étape la plus dure de mon voyage. J’ai passé 30 heures sous un camion. Je connais des gens qui sont morts parce que le camion allait trop vite et il avait un accident." Il me raconte qu’avant de réussir à arriver en Italie il a dû essayer un grand nombre de fois, en bateau et en camion. Maintenant il est à Nice, et il se sent heureux même s’il recherche, en vain, du travail. Son voyage a duré un an et demi. "Je suis très content ici, je ne retournerai jamais en Afghanistan." Dans le local d’Habitat et Citoyenneté, situé rue Dabray, derrière la gare, il y a beaucoup d’agitation ce vendredi après-midi. Des gens de toutes origines, parlant des langues très différentes, déposent des papiers et demandent du conseil. Je croise Boubakir, un Tunisien qui est ici depuis trois ans. Malgré l’insistance de son ami Noradin, il refuse d’abord de me parler: "C’est toujours pareil: on parle beaucoup avec vous et après rien ne change". Mais très vite il change d’avis et se confie à moi. Il y a trois ans, au moment de la révolution, il a pris place dans une embarcation rudimentaire pour Lampedusa. "Chez moi j’étais mécanicien de bateaux et il n’y avait pas de travail, pas de conditions de vie dignes. Je préférais risquer ma peau que de rester là-bas… J’ai connu des expériences terribles de traversée de la mer, des gens qui jetaient d’autres gens à la mer parce que le bateau coulait." Face à ma réaction d’horreur il riposte: "Qu’auriez-vous fait dans cette situation?".
Pour Boubakir le pire l’attendait à Nice. Pas de travail, pas de logement, condamné à la rue, aux berges du Var et aux squats. "Je sens beaucoup le mépris des gens; mais ils ne connaissent même pas mon histoire." Il dit avoir perdu 19 kilos depuis qu’il est ici; ses collègues d’Habitat et Citoyenneté le confirment. Lui n’a pas droit à l’asile politique, sa faute: être Tunisien. Pourquoi reste t-il? "Là-bas c’est la merde et ici aussi; mais j’aime la France, je veux m’intégrer ici, je veux juste du travail." Boubakir est étranger, et pour les étrangers sans papiers ni aide de l’État, ce n’est pas facile. "Mais ça veut dire quoi étranger? Le monde est trop petit pour que le mot étranger signifie quelque chose." Réalisez les recettes facilement grâce à la présentation vidéo! Recette facile de beignets léger...