On ne parle pas souvent des décorateurs de théâtre. C’est pourtant ce qui nous a amenés à l’Echangeur de Bagnolet (93) pour y voir La Brume du Soir. La décoratrice, Pia de Compiègne, est en effet celle qui avait réalisé le décor de Projet luciole présenté récemment ici. Des petites lumières sur des guirlandes me rappellent la projection des éclats de la boule à facettes ; ici, elles évoquent une guinguette de bord de Marne. Les feuilles des arbres qui tombent au sol me rappellent les feuilles des livres qui chutaient dans la pièce précédente ; ici, elles marquent la rive du fleuve. La table du restaurant me rappelle celle de la bibliothèque ; ici le repas n’est pas le moment d’un partage.
Ce texte étrange, navigant entre la dure réalité et des mystères, porté par trois comédiens (Eric Challier, Antek Klemm, Kahena Saighi) et une quatrième voix (Odja Lorca), nous entraîne dans les difficultés de l’exil. Ou plutôt il pose la question de l’identité. Peut-on être soi-même quand on quitte le pays où l’on a vécu son enfance, sa jeunesse, dont on a connu et pratiqué les habitudes, les rites ? Et être soi-même, c’est d’abord avoir un nom. Un nom dit l’origine, désigne. Peut-on garder son nom pour trouver sa place dans la société qui accueille, tant bien que mal, le nouvel arrivant ? Et si l’on ne peut garder son nom, qu’en sera-t-il des enfants ? Comment les nommer ? Qui seront-ils ? Quel langage entendront-ils, parleront-ils, comprendront-ils ? Il y a tous ces mots, dits par le dernier arrivé, et qui entrent dans l’oreille et qui poussent leurs racines dans les têtes. Trois moments ponctuent la représentation : de la danse, de la marionnette et du jonglage. Trois respirations silencieuses. Qui n’empêcheront pas la détresse et la solitude.