"Mais une autre vie a commencé pour nous à Hydesville. De gosses sans grand prestige, nous voici donc passées au grade de prodiges. Le pouvoir de communiquer avec un mort n’est pas octroyé au commun des mortels. D’autant plus que notre hôte tapageur s’en donne à coeur joie, pour parler franc. Jamais il n’aura été si loquace."
Dans l’Amérique puritaine de la deuxième moitié du XIXème siècle, à la suite d’un déménagement, deux soeurs font une étrange expérience. Intriguée par les coups répétés retentissant dans leur nouvelle maison, Kate, personnage mystérieux s’il en est, découvre le spiritisme et communique avec l’ancien propriétaire des lieux, décédé dans de tragiques circonstances. Sa soeur, Margaret, fasciné par ce don, la rejoint lors de séances qui perturbent la vie de la petite communauté de Hydesville. Mais la peur et le rejet remplacent bientôt la curiosité des villageois : la famille harcelée décide donc de quitter les lieux pour se rendre dans une ville plus propice à la bonne évolution de leur destin. Tandis que les parents pensent avoir été investis de la mission de "dévoiler aux terriens la clé de l’autre monde", la soeur aînée Leah, va profiter de cette aubaine pour faire fructifier son entreprise, le Spiritualist Institute, où sont données des démonstrations de "télégraphie spirituelle" ou d’écriture automatique directe. Pendant que les tables tournent, les porte-monnaie se remplissent.
La galerie de personnages que l’on croise dans ces pages est assez intéressante, notamment les personnages féminins. Les trois soeurs, en particulier, mais également Pearl, fille d’un pasteur. Celles-ci offrent un angle intéressant sur le statut des femmes dans le Nouveau Monde après 1850. Néanmoins, Kate échappe à cette dimension historique par son caractère presque évanescent, semblant souvent sortir à peine d’une crise de somnambulisme. Sa soeur Margaret fait davantage partie intrinsèque du monde terrestre puisqu’elle avoue tricher parfois lorsque les esprits rechignent à se manifester.
«Un esprit, si j’ai bien compris, c’est un soupçon d’infini accroché à des impressions passées, ou plutôt l’ombre d’une âme pleine de regrets, et tout cela captif de notre étroitesse de créatures vivantes. À cause d’une mort violente, suicide ou assassinat, d’un chagrin immense, d’une terrible contrariété au moment de gagner la porte de l’au-delà. »
Roman étonnant, entre spiritisme et libéralisme naissant, ce texte d’Hubert Haddad nous entraîne sur les traces des soeurs Fox, pour peu que notre table de lecture ne soit pas scellée au sol…
Hubert Haddad, Théorie de la vilaine petite fille, éditions Zulma, Janvier 2014, 20 euros.