Le lieu portait le nom d’un mauvais album de Madonna. L’Erotika était logiquement situé à Pigalle, pas loin de l’Elysée Montmartre, de la
Cigale, entre phosphorescents sex shops et minables échoppes. Déjà touristique, le quartier, sous les néons fluos. Mais bien moins qu’aujourd’hui, aseptisé, safe, nettoyé des filles et des
travestis qui alors y faisaient tache…
Thomas, le chanteur de ce groupe de rock alternatif que tu aimais bien, venait de lancer un nouveau projet. Ce groupe, dont l’album avait été produit par le guitariste de FFF, devait jouer ce
samedi-là à l’Erotika. Il s’y produisait assez régulièrement, avais-tu cru comprendre. Dans la semaine, parce que tu avais entendu parler d’invitations à récupérer sur radio 102.3, tu étais allé,
un midi, chercher deux places pour le concert.
Ce samedi-là, donc, vous débarquiez à l’Erotika. Vous ne vous étiez pas renseignés. Vous ne saviez pas qu’il ne s’agissait pas vraiment d’une
salle de concert. Il avait beau être près de minuit, la salle était vide. Les mecs en sapes chics et les nanas apprêtées qui arrivaient peu à peu ne laissaient planer aucune ambiguïté sur la
nature du lieu. De toutes façons, peu de gens, à cette heure, étaient là pour le groupe. D'ailleurs, il était patent qu'il n'allait pas jouer tout suite...
Cela faisait un moment que tu n’étais pas rentré dans une discothèque. Une discothèque, vous auriez dû vous en douter. La musique, crois-tu te souvenir, était médiocre. Boire, il n’y avait que ça
à faire. Les consos s'additionnaient encore en francs. Les gens dansaient mollement. L’ennui infusait lentement.
Puis vint l’heure du concert. Son dernier show. Mais, ça, tu ne le savais pas encore.
Sa prestation, tu ne t’en rappelles pas vraiment bien. Le groupe, livrant avec fougue son funk-rock en français, s’amusait, c'est sûr. Devant un public majoritairement indifférent, principalement
impatient que les instruments dégagent et que le dancefloor s’électrise. Tu sais pourtant, sitôt les amplis éteints, que vous êtes partis. A l’époque, tu aimais bien moins danser
qu’aujourd’hui.
Le surlendemain, un entrefilet dans un journal.
Le chanteur était tombé du toit.
Après le concert, il avait entrepris l’escalade de la façade de l’immeuble. Perché une fois de trop.
Et pendant que tu rentrais, que tu te couchais, que tu t’endormais, à seulement quelques centaines de mètres de toi, il avait glissé.
On l’a un peu oublié aujourd’hui. Les disques de ses deux groupes ne traînent sans doute même plus dans les bacs à soldes. Toi, tu aimes bien,
pourtant, les réécouter parfois. Des échos, des larsens d'adolescence...
C’est en recherchant il y a peu les accords de La mouche, chanson qu’il avait reprise en guise de clin d’œil avec son premier groupe - le plus connu - que tu avais incidemment repensé à
lui, à cette soirée parisienne lointaine et floue, à cette énième tragédie rock à la con…