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On y danse et on y danse!

Publié le 15 mars 2014 par Johanne Labbé @JRozonLabbe

On y danse et on y danse! (version 2)

«Comme çà vous me congédiez?!!!»

«Euh… oui!»

Petit sursaut. Non pas que j’affectionne tant le milieu, mais enfin. On s’attache quoi!

«Statistiquement, 5 ans après la fin des traitements, la mammo et un examen annuel avec la chirurgienne en onco suffisent. À moins de nouveaux signes cliniques bien entendu.»

Mais-mais-mais-mais-mais… J’aimais bien la nouvelle salle d’attente du centre de cancérologie, moi! À peine eu le temps de l’étrenner! Y avait même des ordis avec wifi! Le soleil irradiait les équipements tous neufs, je vérifiais les nouveaux titres dans la bibliothèque à la disposition des patients, je récapitulais, j’en profitais pour visiter ma marraine ou mon parrain, hospitalisés tour à tour, j’attendais docteure onco, ma druide, depuis bientôt… 7 ans!

Ouais, çà commence à faire un bail. Aux frousses des premières années succéda l’étrange indifférence des dernières. Après tout, n’est-il pas temps de sevrer la patiente? De la saisir par ses petites pattes griffues, de la soulever tête en bas, et de la jeter en bas du nid?

Mais-mais-mais-mais-mais… à peine une petite mammo annuelle, trois-quatre minutes avec docteure Bistouri et hop! Me voilà repartie pour toute une année?

Et si? Et si? Et si-si-si?

Pour moi, docteure Omni + docteure Onco + docteure Chirurgienne = tranquillité d’esprit. Bien répartie sur l’agenda annuel, cela me procure un rassurant petit carrousel. De l’une à l’autre, je gambade et me tiens l’adrénaline au calme: Bon tout va bien! Fiou rien trouvé! Ouf! ça va mieux! Toutes les quatre, mon omni, mon onco, ma docteure Bistouri et moi, nous sautillons en nous tenant la main sur l’air du Pont d’Avignon. C’est ainsi que depuis 7 ans, on y danse tous en rond!

On y danse et on y danse! (version 2)

Après tout, je dois ma survie à ce jour à ce trio.

Je me repasse le début du film: Docteure Omni décèle un truc suspect à gauche – Hop chez docteure Bistouri, laquelle déniche un truc atypique à droite – Hop chez docteure Onco, laquelle me conseille la chimio sans me convaincre – Et hop me redirige vers docteure Bistouri, mais «OH ATTENDEZ!» me rappelle docteure Onco, «il faudrait vérifier le résultat du contre test pour le HER2 équivoque avec docteure B!!»??

Bon, le vocabulaire santé ne me rebute pas, mais là je dois prendre note et redéplier mon petit papier devant docteure Bistouri la semaine suivante – laquelle ne se souvient ni du test HER2 équivoque, ni du contre test attendu, mais téléphone au labo illico – lequel confirme le statut HER2 très très positif de ma tumeur, donc chimiotisable de toute urgence – et hop me reredirige vers  docteure Onco, laquelle frétille de joie à l’idée de me sauver la vie (si! si!) et concocte ma potion en me laissant le choix: celle de 4 mois plus dure, perte de cheveux garantie, ou celle de 6 mois moins dure, quelques fois les cheveux persistent? Au diable les cheveux! Je demande ma survie et elle désigne la 4 mois.

Vive le travail d’équipe quoi! Et me voilà en vie, sans métastase à ce jour,  7 ans post diagnostic, et 5 ans post fin de traitements.

Je reluque son petit nez retroussé, sa frange noire, sa mine réjouie. Docteure Onco et son sarreau extra-small. Soupir. On s’attache à tout, mais surtout à quiconque prend soin de vous,  attentif, penché sur votre petit cas personnel, alors que tout fout le camp…

Ma druide me lâche la main au pied d’un gigantesque voilier sur pattes, un Immense Viaduc qu’elle me fait signe d’emprunter. Et de l’autre côté duquel m’attend ma nouvelle vie de survivante-graduée-5-ans-de-rémission. Un pas à faire et…

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Des Viaducs et des Ponts

D’Avignon à Millau, en passant par le Gard, chez mes amis en douce France, on s’émeut de leur résiliente beauté.  Ponts et viaducs entrent, confiants, dans la postérité.

En notre sibérienne contrée, nous nous excitons devant la probabilité de leur écroulement. Depuis l’affaire du  viaduc lavallois, effondré sur une autoroute à l’heure de pointe en 2006 (cinq morts et six blessés), chacun  s’improvise, autour de la machine à café,  ingénieur  en surveillance de ponts et ouvrages d’art. Le casque orange se porte beaucoup cette année à Montréal.

La moindrissime fissure alimente la une. Tout un chacun brandit son cellulaire, caméra activée, au cas où. «Et si quelque chose avait échappé aux inspecteurs?» Puis: «Et s’il n’y avait pas d’inspecteur» ?

Insouciants et Inquiets traversent le Pont Champlain  se demandant: suis-je insouciant ou inquiet?

Quant à votre toute dévouée, après la galère cancéreuse, nom d’une bobinette, vous n’allez pas croire qu’une probabilité aussi ridicule la titille?

Pfffff! J’emprunte le Pont Champlain sans le moindre frisson! Restons rationnels là! J’ai peut-être tout oublié des théories de la probabilité, mais le gros bon sens coule à flots dans les lignées paternelle ET maternelle chez nous. À l’infinitésimale probabilité que le pont s’écroule, s’additionnerait la totale improbabilité que j’y passe au même moment? Foutaises et balivernes!

J’appartiens aux grands sceptiques de ce monde. Ajoutez à cela un athéisme en toutes matières, une allergie à toute vérité prétendue, à la pensée magique, au concept de «destin», aux astrologues, bobologues (merci Bretecher!), voyantes, médiums et compagnie, médecines parallèles, douces, dures, molles, à l’aloès, avec ou sans gluten, guru-qui-me-vends-la-même-salade-avec-des-mots-nouveaux, qui seront IN 18 mois, OUT le 19ème, et me voilà, rivée dans mon inébranlable existentialisme, à l’abri de toutes les peurs irrationnelles, superstitions, mauvais présages, rumeurs urbaines, et autres sources d’épouvante ou d’illusion.

La psychose générale autour des risques d’effondrement du Pont Champlain ne me fait hérisser aucun poil, ne me cause aucune agitation, ni tension musculaire, ni perturbation du sommeil, ni le moindre rien du tout. Ils me font bien marrer tous les peureux qui…

Remarquez l’autre jour, je ramenais Poupou Premier à sa maman-ma-fille après une semaine à découvrir la luge en Estrie. Arrive le choix du pont à emprunter pour gagner l’Ile de Montréal. Sans hésiter, à tribord toute, direction Pont Jacques-Cartier.

Le pont Champlain d’accord, MAIS JAMAIS AVEC POUPOU DANS LA VOITURE!!!

Non, mais! Pas folle la mamie!

C'est moi qui conduis!

Où en étais-je? Les ponts…

Mirabeau, Pont des soupirs, Pont des amoureux… et me voilà émue. Pont de Brooklyn, Pont de San-Francisco, ne sentez-vous pas l’appel du voyage?

Un pas à faire et… le Viaduc m’attend, aérien vaisseau sur de grandes échasses. Voiles déployées pour m’emporter loin, loin de cet épisode, de ce chapitre, de cette histoire. Cette histoire qui tire à sa fin. Un happy end à l’américaine.

Au moment de poser le pied sur le plus joli pont qu’il m’ait été donné de voir, ce pont de l’autre côté duquel m’attend ma nouvelle vie de rémissionnée, un brouillard glauque s’abat sur le Viaduc de Millau et moi.

Je n’y vois plus goutte. Une voix parle, parle. J’entends le mot «tatouage», voix familière, il y a longtemps… Où sommes-nous?

Le brouillard se dissipe, l’autofocus se met en action et surgit l’image nette.

Disparus le vaisseau, le pont, le vaste horizon. Ne reste plus qu’une grande femme brune en sarrau blanc et moi, imper d’automne sur les genoux, assise dans un bureau beige. Sensation de porter un étrange chapeau. J’y porte la main: c’est une perruque. Un calendrier affiche l’année 2007. Par la fenêtre les feuilles oranges rouges et jaunes du parc Lafontaine virevoltent. Le vent claque les vitres. Il pleut de côté. Je frissonne.

La dame me tend un papier en disant:

«La radio se fait au 5ième sous-sol de l’hôpital».

Les murs émettent un grincement lugubre. Le bureau rapetisse, les murs rétrécissent. Je m’appelle Chloé, je suis un personnage de l’Écume des jours, je me sens de plus en plus à l’étroit, et pardonnez-moi, docteure Radio, ce n’est pas que notre échange m’ennuie, mais, si vous le permettez, je vais m’évanouir.

On y danse et on y danse! (version 2)


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