Critique de L'Île des esclaves, de Marivaux, vu le 9 mars 2014 au Studio-Théâtre
Avec Catherine Sauval, Stéphane Varupenne, Nâzim Boudjenah, Jérémy Lopez et Jennifer Decker, dans une mise en scène de Benjamin Jungers
Cela fait partie des nouvelles rigueurs budgétaires du Français : ne plus faire venir des grands metteurs en scène reconnus, mais en dénicher de nouveaux dans la maison. Sauf que voilà, n'est pas metteur en scène qui veut. Et c'était peut-être un trop grand pari pour Benjamin Jungers que de s'attaquer à une oeuvre de Marivaux pour sa première mise en scène dans la maison. Manque d'idée, manque de mise en scène, et manque de direction d'acteur : ces derniers sont laissés en roue libre, et on ne parvient pas à saisir toute la portée de la pièce.
C'est la première fois que je voyais L'Île des esclaves, et j'avoue être déçue. J'aime beaucoup Marivaux, et je n'ai pas eu l'impression de découvrir un de ses textes : en fait, on ne l'entend pas. L'histoire a pourtant un aspect politique dont l'impact n'a pas entièrement disparu aujourd'hui : Iphicrate et Arlequin, un maître et son valet, viennent d'échouer sur une île, de même qu'Euphrosine et Cléanthis. Cette île, c'est L'Île des esclaves, sur laquelle les rôles maître-valet sont inversés : Iphicrate prendra donc la place d'Arlequin, et vice-versa. Tout cela sous le regard de Trivelin, qui gère les arrivées et les inversions sur l'île. La pièce est courte, mais ce n'est pas une raison pour la jouer à toute vitesse.
On ne rentre pas dans l'histoire, on ne rentre pas dans ce jeu-là. Et eux-même ne semblent pas y croire. J'aime énormément Stéphane Varupenne, c'est un excellent acteur, mais il ne semblait pas savoir où aller et comment construire son personnage d'Iphicrate. Et cela allait de même pour ses partenaires. Le duo Catherine Sauval - Jennifer Decker ne fonctionnait pas, et ce pour plusieurs raisons ; la première est due à leur différence d'âge, qui fait qu'on ne parvient pas à croire en ce duo. La seconde est causée par le jeu des différentes actrices : Catherine Sauval, qui interprète le rôle ingrat d'Euphrosine, possède une partition réduite par rapport à ses partenaires, et elle ne parvient pas à faire décoller son personnage, à la rendre intéressant ou attachant. Jennifer Decker est égale à elle-même, c'est-à-dire bien loin d'être transcendante, la voix monocorde, le jeu sans surprise. De plus, elle débite son texte à une vitesse telle qu'on ne parvient parfois pas à la suivre : son morceau de bravoure, sur la description de sa maîtresse, est raté. On sourit parfois, mais sa prestation reste un échec dans l'ensemble. On regrette de penser la même chose pour Nâzim Boudjenah, qui sait pourtant si bien nous ravir en général. Là, malgré le fait qu'il ait la rigueur et l'autorité nécessaire pour endosser le rôle de Trivelin, il enchaîne vraiment trop vite les répliques, comme pour se débarrasser de son texte, si bien qu'on ne sait finalement plus ce qu'il pense. De la distribution, seul Jérémy Lopez semble se détacher : il est un Arlequin drôle et taquin, réjouissant de tant de joie de vivre, sensible envers son maître, touchant de tant de naturel. Il est le seul comédien de la distribution qui parvient à donner un corps et une âme à son personnage.
Je continue de me demander quelles indications de mise en scène Benjamin Jungers a pu donner à ses comédiens. Seuls les décors semblent provenir d'une véritable idée, et c'est peut-être le seul détail de mise en scène qui a su me convaincre : en effet, les grands draps qui ornent la scène rappellent les voiles d'un bateau, transformés par la suite en hamac pour simuler l'Île, puisque la scène du Studio-Théâtre ne peut fournir qu'un petit espace, difficilement décorable.
Pas essentiel. Le metteur en scène était sans doute trop benjamin pour s'attaquer à la pièce. Mais pour le texte, même si on ne l'entend pas assez, et pour les acteurs, même s'ils ne sont pas à leur top niveau : ♥