La nuit vraie. Quelle heure ? Ne pas regarder. Il viendra. Il va appeler. Il appelle rarement – vos rendez-vous sont tacites. Il sait que. Il sait que tous les vendredis, quand l’heure hésite entre la lumière et l’ombre, le reste est sans importance. Il sait et ne vient pas. Tu ne sais rien et tu attends. Il est dans les bras d’une autre. Il est en train de regarder tes photos – tu sais qu’il a ce genre de manies. Il t’a oubliée. Il veut t’oublier. Il en a marre. Il court pour venir. Il court pour te rejoindre, même s’il est tard, car il n’y a que toi qui comptes dans sa vie. Il te le dit tout le temps. Il te le dit et tu le crois, crédule comme si tu avais quinze ans. Il court et tu attends. Il veut te quitter et tu attends. Il délaisse à regret les bras d’une autre femme, même pas la sienne, pour venir. Il n’a pas vraiment envie, juste un peu de pitié, un fond d’amour comme l’eau douteuse que laisse un glaçon en fondant, une eau qui hésite, solide, liquide, elle se demande. Il rentre vite chez lui prendre une douche, soucieux de ne pas rapporter en nuage autour de lui les souvenirs odorants d’une autre. Il est capable de ce genre de précautions. Il est capable de tant de choses pour ne pas te blesser. Il compatit tellement à cette souffrance qui te ronge de l’intérieur et qui suppure sur ta jambe ; il la prend, cette souffrance, il la
Attente éternelle II, par Miss Elain, tiré de deviantart
fouette à grands coups de caresses, il prend sa tête difforme, la plonge dans les eaux lourdes de la passion, l’empêche de respirer, lui sort la tête, lui fait cracher son venin, le boit, et il la replonge, indéfiniment. Torturer la souffrance pour lui faire avouer ce qu’elle cache profondément : une trop grande douceur, une trop grande soif de tout, une envie de bouffer le monde. Il la ligote de ses mains majestueuses, il la boxe, il combat, et ta souffrance chancelle, tombe, face contre terre, se régalant de poussière, le sourire sur ses lèvres, car elle sait, dans le fond, elle sait qu’il ne peut rien contre elle – elle se relève toujours. Tu aimais bien ça au début, cette façon qu’il avait de vouloir te sauver de toi-même. Puis cela t’a lassée, avant qu’il finisse par s’en foutre complètement et n’agir ainsi que par réflexe, sans le cœur. Mais tu l’attends quand même, toi aussi, par réflexe, comme un animal domestique attendrait son maître, car il a faim, et un peu besoin d’affection.
Notice biographique
Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan. Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes. Récemment, elle a publié Débandade(roman) aux Éditions Philippe Rey.