Parce qu’il reste encore assez populaire, beaucoup imaginent voire espèrent
la nomination du Ministre de l’Intérieur à la tête du gouvernement. Pourtant…
Principalement en cause, le fait d’avoir mis sur écoute l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy. Pas par le fait du gouvernement, mais d’un juge. La réaction initiale du gouvernement a été de nier qu’il était au courant. À un an du
début de l’affaire Cahuzac, cela rend particulièrement fragile le gouvernement de Jean-Marc Ayrault après vingt et un mois de
(dys)fonctionnement.
D’ailleurs, le 6 mars 2014 sur BFM-TV, Jean-Marc Ayrault
lui-même plaidait pour un "gouvernement resserré"… avec cette interrogation en retour : pourquoi ne pas y avoir pensé dès juin 2012 ? Fallait-il donc autant récompenser tous les
hiérarques dociles du parti socialiste ? Les écologistes feront-ils partie de la prochaine
équipée ?
Des rumeurs récurrentes
Du coup, plusieurs noms sont régulièrement cités pour la succession du Premier Ministre (les médias s’amusent
comme ils peuvent) : le Président de l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone soigne son image et
laisse entendre qu’il est disponible. Si Martine Aubry se fait très silencieuse sur la scène nationale,
élections municipales lilloises obligent, ainsi que le Ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, intervention en Centrafrique oblige, l’hypothèse
de Christiane Taubira a fait long feu avec les derniers rebondissements des affaires et semble en
processus de départ de la Place Vendôme (peut-être pour un autre ministère ?). Le sénateur de Tullins, André Vallini, semblerait en bonne place pour devenir Garde des Sceaux. Avec
mérite.
En revanche, deux autres noms ("nouveau") sont arrivés dans les belles hypothèses journalistiques, l’actuel
Ministre des Affaires Étrangères Laurent Fabius, très présent médiatiquement avec la crise ukrainienne,
qui ne dédaignerait pas revenir à Matignon exactement trente ans après y être entré avec le titre (ronflant) du plus jeune chef du gouvernement de l’histoire de la République (à 37 ans), et
l’actuel Ministre du Travail, Michel Sapin, très proche du Président François Hollande, qui
pourrait former un tandem de choc avec Pascal Lamy à Bercy, ancien directeur de cabinet de Jacques Delors à Bruxelles (mais son lapsus du 13 mars 2014 sur Europe 1 a beaucoup ému dans les
chaumières : « On va continuer à s’occuper des enquêtes de Nicolas Sarkozy ! » [en parlant des affaires judiciaires]).
Le risque d’être contredit demain…
Mon propos aujourd’hui serait d’évoquer l’hypothèse qui est quand même donnée avec la plus grande
probabilité, sans doute parce que c’est la seule personnalité socialiste encore populaire, à savoir l’actuel
Ministre de l’Intérieur Manuel Valls.
Il est toujours assez hasardeux de se livrer à des spéculations, de dire ce qu’il pourrait se passer ou ne
pas se passer, car l’avenir pourrait aisément les démentir, les faits restant têtus (mais qui a donc dit cela ? enfin, je sais, laissons-le là où il est). D’un autre côté, si on ne prend pas
de risque, à quoi bon faire des analyses ? Je ne suis pas madame Soleil mais je peux proposer quand même mon modeste raisonnement.
Alors, je me risque à dire que l’hypothèse de Manuel Valls à Matignon serait très peu réaliste, même si elle
plaît aux médias parce que le principal concerné est très médiatique (au point de supplanter le Président de la République dans la couverture de certains événements).
1. Le sort de Jean-Marc Ayrault
Pour prendre sa place, il faudrait qu’elle soit vacante. Or, il n’est pas sûr du tout que Jean-Marc Ayrault
quitte Matignon à court terme.
Même s’il est du même profil que François Hollande (donc, peu complémentaire), à savoir n’ayant jamais eu
d’expérience ministérielle, de la même génération, très attaché aux subtilités du PS et positionné à la fois au centre gauche sur le fond mais "socialiste sectaire" sur la forme (n’hésitant à
cliver pour bien montrer son appartenance très artificielle à la gauche), Jean-Marc Ayrault a des atouts non négligeables : il est d’abord loyal et fidèle ; il ne cultive aucune
ambition présidentielle ; son avenir suivra le même sort que celui de François Hollande ; son manque de charisme est plutôt un avantage flatteur pour un Président de la République qui
manque, lui aussi, cruellement, de charisme.
Sur le plan gouvernemental et politique, on imagine mal un nouveau Premier Ministre avant les élections européennes du 25 mai 2014 qui promettent une catastrophe électorale pour le PS. Tant qu’à user un Premier Ministre, autant l’amener jusqu’au bout
de l’épuisement. C’était ce qu’avait fait le Président Jacques Chirac en maintenant le Premier Ministre
Jean-Pierre Raffarin jusqu’à l’échec du référendum du 29 mai 2005, après avoir survécu des élections
régionales en mars 2004 et européennes en juin 2004 relativement éprouvantes. Notons qu’en mars 2015 auront lieu des élections très importantes encore, régionales et départementales (nouvelle
appellation des cantonales) qui seront les dernières (hors référendum) avant l’élection présidentielle de 2017.
Par ailleurs, loin d’être maladroit, Jean-Marc Ayrault avait réussi à gagner quelques mois de prolongation en
lançant une profonde réforme fiscale (qui semble heureusement oubliée) et François Hollande a relancé l’action de ce
gouvernement avec cette (nouvelle) expression magique, "pacte de responsabilité" qui pourrait durer jusqu’à l’été prochain.
Donc, premier obstacle : rien ne dit que la place est libre. Après tout, malgré les rumeurs permanentes,
François Fillon a duré tout le temps du quinquennat.
2. Ministre de l’Intérieur
Manuel Valls est à l’Intérieur un bon héritier de toute une série de "premiers flics de France" que la
République a connus, comme Michel Poniatowski, Charles Pasqua, Gaston Defferre, et bien sûr, Nicolas Sarkozy.
À savoir, qu’il agit comme ministre avec des intérêts très partisans.
En clair, sa mauvaise foi et son sectarisme politicien ne sont plus à démontrer, et si c’est de bonne guerre,
cela reste regrettable si l’on pense que la politique doit être consacrée au service de l’intérêt général. Ainsi, la publication des statistiques officielles de la participation aux "manifs pour tous" contre le mariage gay n’a trompé personne, avec un coefficient correcteur de 20 ou 30 ! L’excessif est insignifiant. Les déclarations
visant à faire de ceux qui sont contre le mariage gay de dangereux extrémistes intégristes semblent, là encore, aussi crédibles que la désinformation russe sur la nature extrémiste du nouveau
pouvoir ukrainien.
Plus grave, le charcutage électoral que les préfets viennent
de finaliser ces dernières semaines, en redécoupant tous les cantons de France, a de quoi inquiéter (avec des incohérences à la fois démographiques et intercommunales). Là aussi, dans la grande
tradition des Ministres de l’Intérieur.
3. Est-il de gauche ?
Une étude rapide de popularité montre que Manuel Valls est populaire parce que des personnes qui ne sont pas
à gauche se reconnaissent en lui. Bien sûr sa personnalité volontaire et dynamique joue à fond dans une société médiatique où les qualités personnelles font office de projet politique, mais ce
n’est pas la seule raison.
Manuel Valls se veut, lui aussi, intraitable sur la sécurité et (eh oui, en Hollandie, on place les deux
sujets dans le même chapitre), l’immigration. Ce qui lui fait dire quelques déclarations assez polémiques parce que généralisantes sur les gens du voyage. Les statistiques sur la délinquance ne paraissent pas beaucoup l’aider dans cette
revendication de fermeté.
Autre positionnement qui a beaucoup d’importance en Hollandie : Manuel Valls est l’un des fermes partisans des institutions de la Ve République et de son principe naturel, à savoir la monarchie élective, faute d’homme
providentiel. En ce sens, il se distingue beaucoup de son seul rival présidentiel à gauche de sa génération, à savoir Arnaud Montebourg, ancien (très ancien) partisan d’une VIe République aussi floue qu’insipide (devenue presque une
marque commerciale). En se présentant à la primaire socialiste en 2011, Manuel Valls avait donc avant tout répondu à sa conception présidentialiste de la démocratie et si son score fut assez décevant (6%, avant-dernier sur six), il est sans doute celui qui, à ce jour, a le plus profité politiquement de l’élection
de François Hollande.
4. L’homme le moins bien informé de France
L'hebdomadaire "Le Point", peu soupçonnable de complaisance en faveur de Jean-François Copé, s’est amusé à publier le 13 mars 2014 un article assez peu élogieux : "Manuel Valls, l’homme qui ne
savait jamais rien !".
Et d’énumérer les nombreuses affaires où, bien que Ministre de l’Intérieur, Manuel Valls avait confié n’avoir
jamais rien su avant les journaux. Que ce soit pour la maîtresse cinématographique du Président, partageant un appartement à 100 mètres de la place Beauvau, ou pour les écoutes téléphoniques que
ses propres services ont réalisées sur Nicolas Sarkozy, c’était ignorance totale. Pareillement pour son collègue du Budget Jérôme Cahuzac dont on apprend ces derniers jours qu’il aurait eu un
compte bancaire à l’Île du Man qui aurait fait transiter trois millions d’euros en dehors des voies fiscales.
Michel Sapin a essayé tant bien que mal de le défendre le 13 mars 2014 : « On peut être Ministre de l’Intérieur sans être pervers. On n’est pas tous obligé d’être à l’image de quelqu’un qui s’appelle Nicolas Sarkozy. (…) Parce que
Nicolas Sarkozy adorait avoir sur son bureau toutes les écoutes téléphoniques du monde, il faudrait que tous les autres Ministres de l’Intérieur soient aussi pervers que lui, mais
non ! ». Sans aucune crédibilité.
Car de nombreux témoignages démentent l’ignorance du Ministre de l’Intérieur, comme celui de Martine Monteil,
l’ancienne directrice centrale de la police judiciaire, qui a expliqué le 13 mars 2014 sur Europe 1, répondant à la question "Est-il possible que le Ministre de l’Intérieur n’en soit pas
immédiatement informé ?" : « Assez peu ! C’est assez peu crédible. (…) [Christian Lothion, l’actuel directeur] a été un de mes
sous-directeurs, il a été directeur régional pour la direction centrale. (…) Lui-même, lorsqu’il avait une affaire sensible, faisait remonter l’information vers son directeur central, vers moi.
C’est quelque chose qui s’est toujours fait, sans pour autant lui poser de questions très indiscrètes, et si j’en avais posé, il était libre de ne pas répondre. ».
5. Les limites du vallsisme
Les limites sont vite atteintes sous contrainte. Sous stress, comme on dit dans des expérimentations scientifiques. Par exemple, lorsqu’il s’agit de répondre aux questions (elles aussi) polémiques de l’opposition au cours des séances aux
questions au gouvernement, le Ministre de l’Intérieur peut créer quelques remous qui sont allés
au-delà de sa pensée.
Les limites ne concernent pas seulement la forme. Elles concernent aussi le fond. Manuel Valls, qui a
vocation (revendiquée par sa participation à la primaire) à s’emparer de tous les sujets politiques, reste assez discret sur thèmes économiques et sociaux. Il peut, certes, rappeler qu’il était
favorable à la TVA sociale et que c’est finalement ce choix qui a été décidé, après la suppression de
celle décidée par la majorité précédente. Mais il n’a pas porté beaucoup d’éléments de langage concernant le cher "pacte de responsabilité" aussi creux qu’un outil hollandien peut l’être.
6. Sa popularité, son seul atout maître
Personnalité encore la plus populaire à gauche, avec le futur ancien maire de Paris Bertrand Delanoë (et futur ministre ?), Manuel Valls subit toutefois une relative érosion après ses initiatives contre le
supposé humoriste Dieudonné en janvier dernier.
La popularité de Manuel Valls serait un moyen pour François Hollande de redonner une impulsion à son action
présidentielle. Mais ce n’est pas forcément dans son intérêt. Fin observateur des septennats de François
Mitterrand dont il essaie d’imiter la réelle habileté, François Hollande ne peut pas oublier l’épisode où Laurent Fabius, mascotte des sondages en 1985, faisait de l’ombre à un Président
vieilli, usé, et très impopulaire.
Du reste, Matignon serait-il dans l’intérêt de Manuel Valls ? Là encore, on ne refuse pas Matignon,
s’évertuent à dire ses différents locataires, parfois avec amertume, mais c’est un poste casse-cou où l’on reçoit plus de coups que de récompenses.
Pour rappel, Dominique de Villepin, qui fut très populaire
grâce à son passage au Quai d’Orsay, est devenu l’un des Premiers Ministres les plus impopulaires de l’histoire, avec une quasi-insurrectionnelle
dans les banlieues en novembre 2005 et surtout, la réforme du CPE (contrat premier emploi) qui avait provoqué de nombreuses manifestations au printemps 2006 (réforme qui a finalement été
abandonnée).
Or, si la popularité de Manuel Valls venait à s’effondrer, François Hollande n’aurait plus aucun joker pour
la fin de son quinquennat (à part, bien sûr, l’hypothétique reprise qui "inverserait" la courbe du chômage). En ce sens, "l’utilisation" de Manuel
Valls se résumerait au tir d’un pistolet à un coup.
7. Trop social-libéral ?
La réalité politique commanderait plutôt à François Hollande de choisir, le cas échéant, un Premier Ministre
qui rééquilibrerait, par son image, le balancier vers son côté gauche. Cela ne changerait pas, en principe, la politique menée par l’Élysée, ce serait plus une révolution de palais comme l’Italie
vient d’en connaître une avec l’avènement fulgurant de Matteo Renzi, et cela lui permettrait de respirer un peu.
Or, qui serait susceptible de gauchiser son gouvernement sans infléchir sa politique ? Martine Aubry,
Claude Bartolone, Arnaud Montebourg, mais certainement pas Manuel Valls jugé déjà, à gauche, comme positionné trop à droite.
D’ailleurs, la seule réelle possibilité d’un gouvernement dirigé par Manuel Valls, ce serait dans le cadre
négocié d’une réelle alliance entre les socialistes et les centristes. François Bayrou n’avait pas hésité, à l’époque de la campagne
présidentielle de 2012, que Manuel Valls était Bayrou-compatible. Mais hélas pour le PS, à force de
refuser cette alliance centriste, le MoDem a fini par abandonner et par rejoindre l’UDI et l’opposition du centre droit.
La seule réelle possibilité de retrouver Manuel Valls à Matignon serait donc dans le cas où, désespéré par
les sondages chaque jour en décroissance (comment peut-on descendre aussi bas ?), François Hollande renoncerait à demander aux François le renouvellement de son mandat en 2017. Là aussi, ce
serait sans précédent dans l’histoire politique. Mais si l’on admettait cette hypothèse, alors, il serait envisageable que Manuel Valls soit propulsé à Matignon pour défendre au mieux les
couleurs socialistes, dans l’action gouvernementale puis, à l’élection présidentielle.
Peu probable
En conclusion, je crois (je m’avance donc un peu imprudemment) que l’hypothèse de Manuel Valls à Matignon ne
tient pas vraiment la route. Elle ne serait qu’une solution de dernière chance qui serait d’ailleurs très difficile à "vendre" à l’intérieur même du parti socialiste.
Et puis, tant qu’à prôner la parité homme/femme, la défense des femmes dans les lieux de pouvoir, pourquoi ne
pas nommer une femme à Matignon ? Avez-vous remarqué le nombre de têtes de liste hommes parmi les candidats socialistes aux municipales, ainsi que le nombre d’hommes chez les présidents
socialistes de conseil général ou régional ? La parité partout, sauf au premier poste ? François Hollande connaît pourtant bien la question, puisque son ancienne compagne aurait pu se retrouver à sa place…
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (15 mars
2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Manuel Valls et son ambition
présidentielle.
Manuel Valls à la primaire socialiste.
Manuel Valls et les institutions de la
République.
Valls-Bayrou, même combat ?
Et la Corse dans tout cela ?
Et les gens du voyage ?
Les Premiers Ministres possibles de
2012.
Remaniement
ministériel.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/manuel-valls-bientot-a-matignon-149337