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Conservation des grands carnivores: quand la politique entre en jeu

Par Baudouindementen @BuvetteAlpages

"Les prédateurs sont utilisés comme un symbole puissant pour communiquer des difficultés (qu’ils n’ont souvent que révélées et pas créées) et pour influencer les politiques. S'opposer au retour des grands carnivores ou vouloir limiter leurs populations est donc devenu un moyen peu coûteux pour les politiciens de se présenter comme les défenseurs de groupes d'intérêts particuliers qu'ils auraient autrement ignorés."

Un article de Guillaume Chapron paru dans "Science" aujourd'hui

par Guillaume CHAPRON et José VICENTE LÓPEZ-BAO

LBDA:  DGSE, Rainbow-Warrior - Le plus sérieux prédateur des moutons n'est pas le loup, mais la DGSE
Commentaire de lBdA: Le plus sérieux prédateur des moutons n'est pas le loup, mais la DGSE

Dans leur synthèse “Status and ecological effects of the world’s largest carnivores” (10 January, DOI: 10.1126/science.1241484), W. J. Ripple et al. proposent la création d'une “Global Large Carnivore Initiative” (GLCI) qui serait soutenue par des engagements ambitieux de la part d’hommes politiques du monde entier. Cependant, les grands carnivores fournissent des services politiques en plus des services écologiques, et cette complication pourrait empêcher une GLCI d’obtenir un engagement politique fort.
Les conflits impliquant des réponses politiques au problème des grands carnivores soulèvent des questions controversées sur l'utilisation des terres et l'économie politique. Les prédateurs sont utilisés comme un symbole puissant pour communiquer des difficultés (qu’ils n’ont souvent que révélées et pas créées) et pour influencer les politiques. S'opposer au retour des grands carnivores ou vouloir limiter leurs populations est donc devenu un moyen peu coûteux pour les politiciens de se présenter comme les défenseurs de groupes d'intérêts particuliers qu'ils auraient autrement ignorés.
Un exemple illustratif est le déclin de l'élevage ovin en France. Les éleveurs de moutons français affirment que les attaques de loups menacent leur mode de vie (1). Cependant, le contexte politique est passé sous silence. En 1985, les forces spéciales françaises (DGSE) coulent le Rainbow Warrior, le navire amiral de Greenpeace dans le port d'Auckland pour empêcher des protestations contre les essais nucléaires français dans le Pacifique. En compensation, la France a – entre autres – accepté de ne pas prendre des mesures qui pourraient entraver l'importation d'agneaux de Nouvelle-Zélande dans l'Union Européenne (2).
Cette fin soudaine de la position protectionniste de la France a été un défi économique difficile pour l'élevage ovin français. Suite au retour naturel du loup en France en provenance d'Italie en 1992, certains hommes politiques français ont alors saisi l’opportunité de se mettre en valeur auprès du monde de l'élevage ovin en dramatisant l'impact des attaques de loups sur le bétail attaques et en s'opposant à la protection du loup, mais sans s'attaquer aux causes economiques profondes du déclin de la production ovine. En 2012, les subventions à l'élevage des moutons liées au loup se sont élevés à 8,8 M € (3), et les chiffres actuels révèlent maintenant que l’élevage ovin résiste mieux en zones à loups. (4).
Il existe de fortes pressions politiques pour transformer les grands carnivores en boucs émissaires. Nous recommandons l'élaboration d'une meilleure compréhension de l'écologie politique de la conservation des grands carnivores.

Guillaume CHAPRON (1) et José VICENTE LÓPEZ-BAO (1,2)

  1. Grimsö Wildlife Research Station, Swedish University of Agricultural Sciences, SE-73091 Riddarhyttan, Sweden.
  2. Research Unit of Biodiversity (UO/CSIC/PA), Oviedo University, Mieres, 33600, Spain.

*Corresponding author. E-mail: gchapron (at) carnivoreconservation . org

Références

  1. S. Sayare, “As wolves return to French Alps, a way of life is threatened,” New York Times, 4 September 2013, p. A4. http://www.nytimes.com/2013/09/04/world/europe/as-wolves-return-to-french-alps-a-way-of-life-is-threatened.html
  2. C. Harding, Singapore Yearbook Int. Law 10, 99 (2006); http://cadair.aber.ac.uk/dspace/handle/2160/13189.
  3. Ministère de l'Écologie de Développement Durable et de l'Énergie, Ministère de l'Agriculture de l'Agroalimentaire et de la Forêt, “Plan d'Action National Loup 2013–2017” (Paris, 2013); www.loup.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/130830_PLAN_LOUP_2013-2.pdf.
  4. L. Garde, in Loup et Élevage: S'Ouvrir à la Complexité: CERPAM—Centre d'Etudes et de Réalisations Pastorales Alpes Méditerranée, L. Garde , Ed. (CERPAM, Manosque, France, 2007), pp. 14–20.

Source : Sciencemag (en anglais), 14 mars 2014.

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