Le déréférencement, chantage et moyen de pression utilisé par les grandes enseignes de la distribution, ou bien défense du pouvoir d’achat du consommateur en limitant les hausses de prix ? L’actualité a mis en lumière un conflit où tous les coups semblent permis.
« Chers clients, la société Danone souhaite que nous acceptions des hausses tarifaires qui nous paraissent injustifiées. Certains produits de la gamme Danone ne sont donc plus proposés actuellement par notre magasin« .
Le mercredi 5 mars, pendant un bref laps de temps, voilà l’affichette qu’ont pu lire les clients des hypermarchés Carrefour le mercredi 5 mars. Le retrait des produits Danone n’a duré tout au plus que deux heures, le temps de faire plier le géant de l’agro-alimentaire, qui a accepté, de guerre lasse, de baisser ses prix.
Un exemple récent : Danone et Carrefour
Menace ultime brandie par la grande distribution, le déréférencement consiste à exclure des linéaires tout ou partie de la gamme d’un fournisseur. Cette mesure de rétorsion s’applique de plus en plus fréquemment, et de grandes marques, avant Danone, en ont déjà fait les frais : Coca-Cola, Bongrain ou encore Lesieur pour ne citer qu’elles.
Concernant Danone, le bref retrait des produits de la marque n’est pas un hasard du calendrier. En effet, comme tous les ans à la même période ont eu lieu les négociations tarifaires entre industriels et grande distribution. Clôturées le 28 février, ces discussions ont atteint une tension sans précèdent entre les acteurs du secteur. Les agro-industriels pointent en effet les dérives des centrales d’achat, accusées de comportements excessifs et d’abus de position dominante. Des industriels qui dénoncent aussi l’engrenage déflationniste sur les produits agroalimentaires depuis un an. « Elles [les grandes enseignes] n’ont pas hésité, pour préserver leur propre rentabilité, à exiger des réductions de tarifs faramineuses allant jusqu’à 30%, de la part de nos entreprises déjà fortement fragilisées, qu’elles soient des PME ou des grands groupes », estime Jean-Philippe Girard, président de l’ANIA, Association Nationale des Industries Alimentaires. Des accusations jugées outrancières par la FCD, Fédération des entreprises du Commerce et de la Distribution.
Une guerre des prix qui a un coût
Tirer les prix vers le bas est l’argument majeur des enseignes pour parvenir à attirer et à conserver leur clientèle. Les industriels se sont donc vus contraints d’accepter une baisse conséquente de leurs prix de vente. Un exercice périlleux pour certains secteurs, confrontés à une augmentation des produits de base et à une hausse des coûts de production. C’est le cas de la filière laitière, impactée par des prix du lait en augmentation de 9% en un an. Pour mettre un terme au désaccord tarifaire, la grande distribution peut donc utiliser la pratique, plus ou moins efficace, du déréférencement.
Une décision risquée
Si, à l’annonce du retrait de ses produits, Danone a dans un premier temps démenti, puis s’est plié aux exigences de Carrefour, cette pratique du déréférencement doit néanmoins être maniée avec prudence. Car un linéaire privé de marques leaders, restreignant pour le consommateur le choix de ses achats, n’est pas une stratégie adaptée pour le long terme. Mais le déréférencement n’est pas toujours la volonté d’une enseigne : le groupe Lactalis, en 2011, s’était servi de cette arme pour protester contre Leclerc, qui avait refusé une hausse des prix réclamée par la marque. Le groupe avait alors retiré des points de vente de l’enseigne près de 200 de ses produits, et la brouille a mis une année avant de prendre fin.
La bataille de la communication
Déclarations dans les médias, affichettes ostensiblement exposées dans les magasins, argumentaire manichéen où le coupable est clairement désigné… Les moyens de justifier un déréférencement s’appuient toujours sur un plan de communication bien rodé, ayant pour but d’en justifier l’acte aux yeux d’un témoin précieux : le consommateur. Car il s’agit de convaincre et de justifier auprès de l’opinion publique les raisons d’un tel choix, afin de gagner son soutien non négligeable et synonyme de moyen de pression supplémentaire.
Une menace économique connue des pouvoirs publics
Si pour certains grands groupes le manque à gagner représente peu, le déréférencement d’une PME largement dépendante de la grande distribution aura pour elle des conséquences dramatiques, pouvant provoquer des plans de restructuration et même des dépôts de bilan pour les plus fragiles. Cette pratique est d’ailleurs encadrée par le Code de commerce, qui l’apparente à une rupture, temporaire ou durable, d’une relation commerciale. Rupture qui, si elle est jugée abusive ou si elle ne respecte pas un préavis, est sanctionnable par une lourde compensation financière. Des jurisprudences existent, et les clauses liant fournisseurs et centrales d’achat sont passées au peigne fin par le secrétariat d’Etat au Commerce et par la DGCCRF. Une demi-douzaine de procédures sont encore en cours à l’encontre de distributeurs. Des grandes surfaces dans le collimateur du gouvernement, montrées du doigt par Arnaud Montebourg, qui a promis de distribuer des « coups de pied aux fesses » à la grande distribution, coupable, selon lui, d’avoir « assommé les PME en France ». Reste à souhaiter que le consommateur ne sorte pas perdant de cette guerre opposant les deux puissants lobbies des distributeurs et des industriels.