La double inconstance de Marivaux.

Par Mademoizela

Participation n°3 pour le challenge d'Eimelle sur le théâtre.Arlequin s'aiment. Ils s'aiment envers et contre tous. Ils s'aiment au-delà de tout. Ils se jurent de s'aimer pour le reste de leur vie et même au-delà. Rien ne pourra gâcher leur amour pur, puissant et plus fort que la vie, plus fort que la mort (pour reprendre la formule biblique reprise par Eckhart et Maupassant). Le Prince veut faire de Silvia son épouse.  Pour arriver à ses fins, il demande à la manipulatrice Flaminia de concocter un stratagème pour séparer les deux amants. Son premier plan va être de venter les mérites, de présenter sous son meilleur jour Lisette à Arlequin. Le stratagème ne prend pas: Arlequin n'est pas dupe. Il comprend le machiavélisme de Flaminia la cruelle et rejette Lisette la dévergondée.Au début de la pièce, chacun des amants est sûr de ses sentiments et tient bon malgré les détracteurs qui les incitent à se séparer.
 Parce qu'on est dans une pièce de Marivaux, tout va changer sous l'effet de masques et de faux-semblants. Silvia rejette le Prince. Elle aime de façon exceptionnelle et sans faille Arlequin. Jusqu'à ce qu'elle rencontre un officier qui ne va pas la laisser indifférente. Mais elle ignore que sous l'apparence de cet officier se cache Le Prince.  Ah! Bien eue la gourgandine!  Silivia la cruche parlant à tout-va, confie son secret à Flaminia qui va s'en délecter et va passer au plan B: faire évoluer l'amour de Silvia pour l'officier-Prince. Comme quoi, même les machiavéliquissimes personnages peuvent devenir les meilleurs adjuvants en amour (même si ce n'est pas désintéressé...)De son côté... Arlequin s'entretient avec Le Prince à qui il ne veut pas céder Silvia mais demeure assez ému et touché par les propos que tient son rival. Arlequin va-t-il se laisser manipuler? Le Prince est-il sincère? Arlequin peut-il flancher? A force de côtoyer Flaminia, Arlequin va progressivement tomber sous son charme. La jeune poulette risque rapidement de passer à la trappe pour laisser la place à la vieille cocotte de Flaminia.  La pièce joue sur les rebondissements et les quiproquos: Silvia surprend une conversation qui tourne autour du "nouvel amour" d'Arlequin. Cette "fausse tromperie" va lui servir d'excuse pour pouvoir se laisser aller à sa nouvelle passion pour cet officier. Silvia peut désormais avouer son amour à l'officier. Ce n'est pas elle la trompeuse puisque c'est Arlequin qui a commencé... Joli quiproquo qui se poursuit lorsqu'Arlequin surprend la douce déclaration d'amour de Silvia à son nouvel amant. Horreur horreur... L'amour n'est donc pas éternel! Votre amour-toujours, jeunes gens, en a pris un sacré coup dans l'aile!! Les masques tombent: le Prince révèle son identité, Silvia l'accepte quand même! Oh pauvre Arlequin! Mais non... parce que l'amour est ainsi fait: un autre couple se forme: celui de Flaminia et d'Arlequin. C'est drôle, c'est frais. Il y a les gentils et les méchants: les gentils ne sont pas toujours gentils gentils et les méchants deviennent en fin de compte sympathiques. J'adore Marivaux et ses jeux de masques, ses quiproquos, ses échanges qui mettent en lumière les qualités universelles de l'être humain.  L'amour est inconstance permanente. On peut aimer beaucoup; on peut aimer très fort; on peut aimer passionnément et à la folie. On peut aimer tendrement. Mais on ne peut pas aimer quelqu'un pour toujours de la même façon.  (Mais on peut quand même continuer d'aimer quelqu'un pour toujours sans en être amoureux. On rentre dans la complexité du mot "Amour" et tout ce qu'on peut mettre derrière... BREF!!!!) Les serments ne sont que des paroles incertaines. Marivaux casse le mythe de La Rencontre. Et, je crois que je vais en rajouter une couche.Si vous croyez à l'Amour Eternel Romantique et Glamour, ne lisez pas ce qui va suivre... Vous allez détester!  On peut dire aujourd'hui "C'est l'homme/la femme de ma vie". C'est vrai au moment où on le dit, au moment où on le pense. Est-ce que ce sera toujours le cas dans 6 mois, dans 10 ans? On ne peut dire cette phrase que sur notre lit de mort. Ce n'est qu'à la fin de notre vie (genre les dernières minutes), que nous pourrons dire "c'était l'homme/la femme de ma vie". Pas avant car nous n'en savons rien. L'homme est inconstant. La fidélité est un mythe. On a créé la fidélité pour montrer qu'on était supérieur à l'animal! L'animal s'accouple, l'homme se met en couple. Balivernes... Ce ne sont que des illusions. L'homme est plein de désirs et cela ne fait pas de lui une bête. On invente des stratagèmes, des subterfuges glamours et romantiques pour voiler une vérité un peu plus trash et moins consensuelle.  Les conteurs de fleurette, les amoureux transis chantant l'aubade au pied du balcon et qui grimpent dangereusement pour voler un baiser, ça va trente secondes...après je fais électrifier le balcon! De toute façon, les amoureux sont transitoires et leurs aubades des chants de matelots bien graveleux qu'ils entonnent avant de venir s'échouer dans nos lits pour y ronfler à qui mieux mieux!  Au début nos deux fous-fous s'aiment beaucoup. On  ne remet pas du tout en cause cela. Mais leur amour repose surtout sur l'impossibilité de le vivre concrètement. Plus une relation est compliquée, plus elle est intéressante. Si d'emblée, leur histoire avait été validée, la passion n'aurait peut-être pas été débridée.  Marivaux veut nous montrer que l'homme veut toujours ce qu'il n'a pas et dès qu'il réussit à l'obtenir, il n'en veut plus; il veut autre chose. C'est la philosophie du désir inassouvi qui rend l'homme malheureux. Platon, Socrate et leurs petits copains nous en ont déjà parlé des millions de fois. C'est un sujet qui est comme le désir: intarissable. Le duo Le Prince-Flaminia m'a fait penser au duo infernal Valmont-Merteuil à moindre échelle bien sûr. Les deux derniers sont des pourritures en puissance qui, arrivés à un point de non-retour, n'ont aucune chance d'avoir le salut. Alors que notre tandem de la Double inconstance est pardonnable, gentillet sur le tard. La pièce a été adaptée cinématographiquement. Je ne l'ai pas vue. Il parait que les puristes crient au carnage. Le petit Arlequin est super sexy.. Différent de l'image que je m'étais faite en lisant la pièce.