Mais où il est le miaou ? Ils sont tous à quatre pattes à chercher un chat qui n'existe pas alors que retentit l'Air du duo des chats de Rossini.
Passant à table, c'est un volatile qu'ils vont déguster, un canard à la rouennaise dont la recette a été le sujet d'une épreuve d'un épisode de Top Chef. Puisque le blog est (aussi) culinaire on peut s'attarder quelques instants sur cette recette vénérée des grands chefs en raison de son protocole très cérémonial.
Le sang de l'animal est extrait devant les convives, avec une presse en argent selon le spectaculaire "service à la russe".
Cette manoeuvre nous est épargnée sur la scène des Athévains mais elle témoigne que nous sommes tombés dans une maison qui a des pratiques alimentaires peu banales. On ne s'étonnera pas que le père, qui s'est enrichi dans l'industrie sucrière, ait décidé d'acheter un certain Dufausset, qui se trouve être le ténor le plus convoité du moment pour en faire cadeau à sa fille, compositrice d'opéra. Il traite l'affaire comme s'il s'agissait d'acquérir une marchandise.
Outre le ridicule de son raisonnement il l'applique à un jeune homme qui n'est pas le bon en s'avançant vers lui avec l'air d'un cuisinier qui va tordre le cou à un canard. Dufausset ne comprend pas mais se satisfait de la situation : à Bordeaux cet homme ferait pleuvoir, à Paris ce sont des pièces qui tombent.
On le fait chanter, soit, bien qu'il eut préféré se destiner à la peinture (comme Feydeau lui-même). S'ensuivent des quiproquos et imbrogliamini en veux-tu en voilà. On se doute qu'aucun des personnages ne réalise ce qui lui arrive, et que personne n'y comprend rien. Seul le public, qui voit tout et entend tout, perçoit les méprises.
Ce qui est amusant c'est de voir comment chacun demeure dans sa certitude, avec une indulgence incroyable à occulter tout ce qui dérange ... et dépasse du cadre qu'il s'est défini.
Les personnages surgissent du décor comme autant de passe-murailles. Leur raisonnement ne tient pas davantage debout que leurs corps penchés comme Pise dès qu'ils s'épanchent sans chercher à contrarier les inclinaisons.
Les faux sens s'enchainent : le nombre trois, la ville de Troyes, le cheval de Troie... Le chat se coince dans la gorge, fait bégayer Sixtine. La pendule est détraquée. Tout est chinois, à commencer par le journal que le mari tient à bout de bras en se moquant de l'aveuglement des maris sans voir le sien ... jusqu'à un bref éclair de doute introduisant la conclusion de la pièce : "demandez toujours à voir la marchandise, n'achetez pas un chat en poche", qui me fait penser à un proverbe arabe : on n'achète pas un chat dans un sac (parce qu'on ne voit alors pas ce qu'on acquiert).
Chat en poche est une oeuvre de jeunesse de Feydeau, écrite à 26 ans, mais on y entend déjà quelques thèmes autobiographiques dans son oeuvre, comme la question de la filiation, l'amour de la peinture et la folie ... dans laquelle lui-même sombrera avant d'en mourir.
Anne-Marie Lazarini s'est entourée d'une équipe constituée de longue date. Ce petit monde s'entend à merveille pour faire fuser les répliques. Ce n'est pas si souvent qu'on peut rire au théâtre. Ne boudons pas cette pièce très bien ficelée à la patte de tous les personnages interprétés par une distribution bien pensée.
Chat en poche de Georges Feydeau
mise en scène Anne-Marie Lazarini, assistant à la mise en scène Bruno Andrieux
décor et lumières François Cabanat, costumes Dominique Bourde
avec Jacques Bondoux, Cédric Colas, David Fernandez, Giulia Deline, Frédérique Lazarini, Sylvie Pascaud, Dimitri Radochévitch.
Depuis le 4 mars 2014
les mardis, vendredis, samedis à 20h30, les mercredis et jeudis à 19h, les dimanches à 15h (représentation supplémentaire les samedis à 16h )
Photos Lot.