Riwan ou le chemin de sable de Ken Bugul

Par Sylvie

SENEGAL


Editions Présence Africaine, 1999

De Ken Bugul, j'avais déjà adoré Rue Félix Faure,un formidable voyage plein d'odeurs et de bruits dans une petite rue typique de Dakkar.

Je découvre cette immense auteur sénégalaise sous un autre jour : le roman de sa vie...

Dans Riwan, sous une forme déguisée bien sûr, elle revient sur son destin hors du commun qui l'a fait passer de paria au statut de grande dame des lettres africaines.

Ken Bugul veut dire en wolof "celle dont personne ne veut". Et pour cause...Elle fut abandonnée par sa mère alors que son père avait 85 ans à sa naissance et recueillie par sa tante. Elle quitte plus tard l'Afrique pour l'Europe (la Belgique)  mais revient dans son village au Sénégal sans mari, ni enfant, ni travail. Un scandale pour les "autochtones". Elle devient alors une paria, sans abri. Elle fait alors la connaissance d'un marabout qui a déjà 27 femmes. Se noue alors une relation d'amitié avec celui qui va la remettre sur le bon chemin, qui va lui redonner une identité. Un peu plus tard, elle deviendra la 28e épouse jusqu'à la mort de ce dernier.


Dans Riwan, pour lequel elle a obtenu le Grand Prix littéraire de l'Afrique noire en 1999, elle raconte sous forme de conte cette merveilleuse histoire. Une histoire de polygamie, bien loin de tous les préjugés que peuvent avoir les européens de cette coutume ancestrale. 

Une aventure intime à la fois cocasse et tragique qui nous est contée par la narratrice.

Un récit centré sur trois personnages : Riwan, un homme présenté comme fou au début et qui sera guéri par le marabout "serigne". Il deviendra alors le "gardien", le "protecteur" des femmes de ce dernier, le seul homme à être autorisé à entrer dans les appartements des dames.

Rama, la 27e "princesse" du marabout, la plus jolie, la plus célèbre.

La narratrice, simple observatrice au début, qui devient par surprise la 28e épouse. Et enfin, un 4e personnage que je vous laisse le soin de découvrir au risque de dévoiler toute l'intrigue...

Un récit tout en nuances et délicatesse qui analyse subtilement la tradition de la polygamie. Transparaît tout d'abord le respect qu'on ces femmes pour le marabout. Ce dernier est considéré comme un sage qui dialogue avec ses femmes avant de les considérer comme un objet sexuel. Il a avant tout un rôle social, celui de conseiller, de guérir, de redonner confiance. L'auteur décrit par petites touches les relations existant dans le gynécée;  Tout en refusant l'idéalisation (la jalousie est bien sûr présente), elle insiste aussi sur les moments de complicité. Chacune passe à un moment donné du statut de favorite, de dernière épousée à celle d'avant dernière...le cap est bien difficile à passer.

On retrouve toute la sincérité de l'écriture de Ken Bugul qui n'hésite pas à intervenir directement dans le récit pour crier sa vérité, tel un hymne chanté et clamé. Selon elle, la femme "traditionnelle" africaine est souvent bien plus heureuse que ses soeurs occidentales qui sombrent souvent dans la névrose. Les femmes africaines peuvent être violentes entre elles au moment de "donner" ou partager leur mari mais ces effusions sont salutaires pour leur santé mentale, évitant ainsi le refoulement.

Un récit inoubliable qui donne à penser, loin des préjugés ambiants. Une ode au respect.