L’exposition "La dynastie Brueghel" à la Pinacothèque de Paris, à la Madeleine, se termine à la fin de ce week-end.
L’occasion de savourer les scènes de vie quotidienne et les paysages d’il y a quelques siècles.
Réunir dans un même musée, pour quelques mois, une sélection
(forcément limitée) d’œuvres de la famille Brueghel est un moyen de prendre conscience d’une évidence,
qu’aux XVIe et XVIIe siècles, il n’y avait ni appareil photo, ni caméra, ni téléphone, ni radio, ni télévision, ni Internet… et pour savoir ce qu’il se passait, pour
laissait une trace de l’histoire pour les siècles suivants, seules la peinture et l’écriture étaient possibles : « Ce rôle revenait au
peintre : lui seul pouvait reproduire une réalité et la partager. », explique Marc Restellini, directeur de la Pinacothèque.
Cette évidence est éclatante lorsqu’on visite cette exposition temporaire "La dynastie Brueghel" à la
Pinacothèque de Paris, un musée privé qui n’a pas de collection permanente et qui s’est agrandi il y a quelques années. L’un de ses atouts est d’exposer certaines œuvres provenant de collections
privées qui ne sont généralement pas visibles dans les musées.
Comprendre la famille Brueghel, dynastie de peintres régnante à Anvers, ville commerciale en plein essor avec
ses trois millions d’habitants, n’est pas très aisé. L’exposition commence d’ailleurs par un arbre généalogique très succinct (qui laisse le visiteur sur sa faim) pour présenter les douze
peintres exposés à cette occasion (sans prendre en compte quelques autres peintres comme Jérôme Bosch et Rubens).
Il y a Pieter Brueghel l’Ancien (1520-1569) avec son beau-père Pieter Coeck d’Alost (1502-1550) auprès de qui
il a appris la peinture, puis ses deux fils Pieter Brueghel le Jeune (1564-1638) et Jan Brueghel l’Ancien, dit de Velours (1568-1625). Puis, les deux fils de ce dernier Brueghel de Velours, tous
les deux demi-frères, Jan Brueghel le Jeune (1601-1678) et Ambrosius Brueghel (1617-1675). La famille continue avec deux branches : les deux fils de Jan Brueghel le Jeune, à savoir Jan
Pieter Brueghel (1628-1680) et Abraham Brueghel (1631-1697) et un neveu de Jan Brueghel le Jeune, petit-fils de Jan Brieghel l’Ancien, Jean Van Kessel l’Ancien (1626-1679) ainsi que les deux fils
de ce dernier, Jan Van Kessel le Jeune (1641-1680) et Ferdinand Van Kessel l’Ancien (1647-1696). Enfin, des œuvres de David Teniers le Jeune (1610-1690) sont également exposées, il est le
beau-frère d’Ambrosius Brueghel et le gendre de Jan Brueghel l’Ancien.
On voit vite que l’art des Brueghel porte essentiellement sur la vie quotidienne, sur des aspects dérisoires
de la vie quotidienne essentiellement des paysans, sur de nombreux détails, sur des paysages aussi. L’ensemble de ces œuvres constitue une précieuse encyclopédie des temps anciens.
Un véritable travail de composition comme l’on peut en voir chez de grands photographes. Il y a parfois des
petits détails qui reviennent souvent, comme un perroquet sur la branche d’un arbre etc. Les visages sont peints de manière très expressive, presque caricaturale. Souvent, d’ailleurs, les
tableaux sont des œuvres coopératives de deux peintres, voire d’un atelier. Plusieurs œuvres exposées de Pieter Brueghel le Jeune sont le fait d’une coopération avec un autre peintre, comme
Rubens, mais en général, les tableaux exposés de Pieter Brueghel le Jeune seul interpellent plus le visiteur, mobilisent plus l’attention et l’émotion, que le fruit d’une coopération qui dilue
les styles.
Pour ceux qui n’auront pas la possibilité d’aller à cette exposition et pour le plaisir sans cesse renouvelé
des yeux, je me permets de faire ici mon petit tour personnel et très incomplet.
Dans "Le Voyage à Emmaüs" (1555) de Pieter Brueghel l’Ancien, on peut avoir une idée du paysage et de la vie
des villageois. Il y a les chasseurs qui reviennent de la forêt, les vaches dans le pré, la petite église au loin, un voilier sans doute pour la pêche, le soleil qui se couche, la journée qui se
termine. À part les vêtements des chasseurs, on pourrait presque se croire au XXIe siècle dans une paisible campagne environnante qui est finalement assez familier au visiteur.
"Le Piège à oiseaux" (1605) de Pieter Brueghel le Jeune (qui a fourni beaucoup d’œuvres à cette exposition)
donne un aspect dynamique de la vie quotidienne. Des villageois qui profitent du gel pour patiner sur la rivière glacée, mis en parallèle avec un piège à oiseaux sur la droite, comme pour
signaler que la glace pourrait aussi craquer et piéger les patineurs.
Pièce maîtresse de l’exposition puisqu’un détail a été choisi pour en faire l’affiche commerciale, "Danse de
mariage en extérieur" (1610) de Pieter Brueghel le Jeune donne toute la mesure du talent du peintre pour se mettre dans l’ambiance des fêtes villageoises. Cela grouille de monde. Les gens
dansent, boivent, rient : une autre vision des soirées en boîte de nuit. Les personnages sont souvent gros, bien nourris, les visages caricaturaux et le sexe des hommes presque voyant.
"Les Sept œuvres de miséricorde" (1616-1618) de Pieter Brueghel le Jeune donne un autre aperçu de la vie
quotidienne dans un village. On voit certains qui donnent du pain, de la soupe, du vin ou des vêtements à des malheureux. La composition laisse apparaître toute la noirceur de certaines
existences, et donne même quelques aperçus de nudité.
Jan Brueghel l’Ancien (son frère donc) a peint "Paysage fluvial avec baigneurs" (1595-1600) qui donne une
idée de certains loisirs au bord de la rivière quand le temps est plus chaud. Les hommes s’y baignent nus et apparemment, il n’y a pas de femme parmi eux.
"En route pour le marché en hiver" (1625) de Jan Brueghel le Jeune apporte au visiteur, là encore, une vision
assez émouvante de la vie quotidienne dans des conditions parfois difficiles (sous la neige). Les personnages (nombreux) se fondent dans le paysage général, enneigé et vallonné.
Jan Brueghel le Jeune a réalisé beaucoup d’œuvres sur le thème de la création du monde ou sur des allégories.
"L’Expulsion du Paradis" (1650) montre Adam et Ève, tous les deux nus, mis à la porte du Paradis à cause de la fameuse pomme de la connaissance qu’a croquée la première femme. Ève est guidée par
la mort alors qu’Adam semble assez passif et suiveur. Dans un autre tableau ("La Tentation du serpent" en 1650), il refuse la pomme tendue par Ève tentatrice qui lui reste en travers de la gorge.
La conscience d’être rend malheureux, le concept de pêché originel ferait de la connaissance la cause du malheur.
Victimes collatérales, tous les animaux de la création doivent également fuir le Paradis. On y voit un chien,
un lapin, un coq, un renard, une oie, une pie, un canard etc. Dans les tableaux précédents de la même série, on peut aussi y voir une autruche, un lion, un tigre, un cerf, un singe, un blaireau,
et même un phoque hors de l’eau, etc. Tout ce bestiaire fait étrangement penser à la Grande Galerie de l’Évolution du Jardin des Plantes. Le phoque sorti hors de l’eau (dans "Dieu au Paradis" en
1650) laisse entendre que les animaux terrestres viendraient des animaux marins (avec deux cents ans d’avance sur Darwin !).
Dans son "Allégorie de la Guerre" (1640), Jan Brueghel le Jeune met sur le même plan les guerres et la
prédation naturelle des animaux. Les victimes sont montrées et sont presque les héros du tableau. On voit des enfants fuir, des habitants gisant sur terre. Même dans les airs, l’aigle dévore sa
proie.
Plus rassurante, son "Allégorie de la Paix" (1640) donne l’occasion à Jean Brueghel le Jeune de brosser un
instantané de la vie villageoise avec une vision assez bisounours de la situation. À table, des amoureux s’embrassent. Plus loin, des habitants dansent et font la fête. Les petits anges
chevauchent gaiement des cygnes en signe de concorde. Au loin, la Paix, toute rayonnante, dans son char tiré par les oiseaux qui ne ressemblent pourtant pas à des colombes. On distingue aussi le
symbole de la justice et bien sûr, celui de l’amour.
Bien entendu, ce petit tour trop court n’est pas suffisant pour se faire une bonne idée de cette très riche
exposition. Il y a par exemple un tableau de Jérôme Bosch (1450-1516), "Les Sept péchés capitaux" (1515) qui représente à merveille l’idée d’une croûte terrestre (ronde) suspendue entre le salut
et l’enfer (l’hésitation de la destinée en chaque humain), et un autre du même peintre, "L’Escamoteur" (1475-1480) présentant une scène de foire avec un charlatan qui fait des tours de magie et
un chaland médusé qui crache une grenouille, symbole de la crédulité.
Informations pratiques : la Pinacothèque de Paris est ouverte tous les jours de 10h30 à 18h30 et les nocturnes ont lieu les mercredis et vendredis de 10h30 à
21h00. L’exposition "La dynastie Brueghel" se termine le dimanche 16 mars 2014. L’entrée se fait au 8 rue
vignon, à Paris 9e.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (13 mars
2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Goya à Paris.
Chagall à Paris.
Dali à Paris.
Van Gogh à Paris.
Hiroshige à Paris.
Manet à Paris.
Rembrandt à Paris.
http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/deux-siecles-de-brueghel-pour-149259