Magazine Cinéma

La chasse - 8/10

Par Aelezig

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Un film de Tomas Vinterberg (2012 - Danemark) avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Lasse Fogelstrom, Susse Wold, Anne Louise Hassing, Lars Ranthe, Alexandra Rapaport

Waouh, quelle claque ! C'est effroyable...

L'histoire : Lucas travaille comme éducateur dans un jardin d'enfants. Gentil, doux, sérieux, apprécié, il a un excellent contact avec les petits. Et adore aller à la chasse avec toute sa bande de copains. Divorcé, il se réjouit de l'arrivée prochaine de son fils adolescent, Marcus, qui a décidé de venir vivre avec son père. Et il vient de tomber amoureux... Lukas est un homme qui, après un divorce douloureux, puis un licenciement, voit enfin la vie lui sourire. Jusqu'à ce qu'une petite Clara, fille de son meilleur ami, confie un jour à la directrice, après avoir vu chez elle des magazines porno de son frère et de ses amis et entendu leurs commentaires : "Lucas a un gros zizi tout dur". Stupéfaction chez la directrice. Que faire ? Convocation des parents de Clara, puis de tous ceux ayant un enfant à la garderie, renvoi de Lucas (qui ne saura jamais ce que Clara a réellement dit), dénonciation à la police. En quelques jours, l'enfer s'abat sur Lucas qui perd tout : son boulot, ses amis, son amoureuse... Il se fait tabasser au supermarché, on tue son chien, on moleste son fils qui essaie de le défendre...

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Mon avis : Magistral. Suspense, émotion, sottise et violence ordinaires... le film se déroule avec une tension croissante, qui fait mal aux tripes. Et - évidemment - le génial Mads Mikkelsen est génial, charme magnétique, retenue, douleur, incompréhension, détermination... Quel rôle et quelle maestria ! Dans dix ans, cet acteur sera mondialement connu et gagnera toutes les récompenses de la terre... (Il a déjà eu une palme à Cannes pour ce film). Il a déjà une immense fan ici en France, et je sais que je ne suis pas la seule, n'est-ce pas ?

Le parti pris du réalisateur, nous montrer dès le début que la petite fille ment, permet ensuite, non pas de s'interroger sans cesse sur la vérité, mais d'analyser les comportements de chacun et de nous projeter dans ce cauchemar : comment réagirions-nous dans une telle situation ? Comment la rumeur peut-elle se propager aussi vite et avec tant de force, comme un diabolique virus ? Sommes-nous bêtes et influençables à ce point (oui) ?

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L'histoire broie le coeur. Face à face entre une petite fille de quatre ans, angélique, adorable, aux mimiques craquantes, et un homme mûr, autrefois apprécié par sa communauté, soudain totalement banni. La parole de l'enfant prévaut sur celle de l'adulte dans beaucoup de sociétés ; un préjugé très discutable tant les pédopsychiatres s'accordent à dire que l'enfant ment souvent (qui n'en a pas la preuve à chaque instant, dans la vraie vie ? à commencer par sa propre enfance ! rappelez-vous...).

Dans d'autres pays, cette parole est au contraire jugée a priori "peu crédible" ; ce qui semble préférable, mais exige quand même une enquête prudente et rigoureuse pour ne pas laisser non plus un prédateur en liberté ! Il est préconisé de parler beaucoup avec l'enfant, pas forcément de l'acte proprement dit, mais de sa famille, de son environnement, de ses jeux, de ses comportements au quotidien (replié sur lui-même ? triste ?), d'incidents qui auraient pu le marquer dans le passé (ici, on aurait sans doute pu remonter à la scène des magazines porno)... pour mesurer l'aptitude à l'imagination et au fantasme de l'enfant, mais aussi analyser le quotidien de l'enfant dans les mois qui ont précédé.

Dans le film, la parole de l'enfant est immédiatement retenue comme définitive... et ensuite c'est un tourbillon sans fin qui se déchaîne. Chaque geste, chaque mot, de l'un ou de l'autre des deux protagonistes, est interprété dans la version qui a été reconnue comme vérité définitive. Comme s'il était impossible de revenir dessus, de se tromper... On déplorera l'absence de réelle enquête, l'intervention minimum d'un psychologue, et le non lieu retenu par la police en l'absence de preuve... et donc la culpabilité qui pèsera quand même sur "l'agresseur" pour le reste de sa vie.

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Combien de cas voit-on hélas traîner en longueur devant les tribunaux pour de telles affaires où l'adulte est emprisonné, clamant son innocence, avec des victimes qui, parfois des années plus tard, avouent qu'elles ont menti... Combien de pères, combien d'époux de "nounous", se sont vus interpeller après quelques mots enfantins mal interprétés...

Un autre phénomène vient le plus souvent se greffer à l'opinion pré-établie : la sacralisation de la victime. On ne l'écoute plus, on ne lui en parle plus, on ne veut pas lui faire revivre son cauchemar. On la protège, on la cajole, la confortant dans son statut et son éventuel mensonge... sur lequel elle n'ose plus revenir. Dans le film, on voit la petite fille avouer plusieurs fois "J'ai dit des bêtises" mais personne ne l'écoute vraiment ; on croit même qu'elle a "refoulé" l'incident, et on la couve encore un peu plus ! Et on s'acharne sur l'agresseur.

C'est un engrenage implacable, terrifiant...

Loin de moi l'idée de mettre systématique en doute la parole de l'enfant ! Mais il faut faire une enquête minutieuse, la plus soft possible... Enfin bon, je ne suis ni psy, ni juge, mais voilà ce que je ressens. Ca doit être terrible pour les professionnels de dénouer pareilles affaires !

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Spoiler. A la fin du film, lorsqu'on comprend que le père a décidé de faire confiance à son ami, et que celui-ci a "miraculeusement" retrouvé la sympathie de tout le monde... on est presque un peu déçu par sa bonhommie face à ce qu'il a vécu et à ses bourreaux. Moi j'aurais quitté la ville à jamais ! Mais le twist final met heureusement le holà ! On sait désormais que le doute de certains empoisonnera à jamais la vie de Lucas... Fin du spoiler.

Les critiques sont enthousiastes, à part quelques uns qui ne comprennent pas le caractère un peu passif du héros. Mais c'est un gentil, Lucas, tout simplement ! Il ne pige pas l'horreur qui lui arrive, il ne peut admettre que la vérité ne soit pas rapidement rétablie, et c'est un pacifiste, il se refuse à être aussi bête que les autres ! Il est pourtant hyper déterminé (scène du supermarché) ; sa façon à lui de résister. Mais il s'enferme peu à peu dans la colère, voire la folie (scène de l'église... son regard et ses larmes, pendant toute la séquence, sont bouleversants).

Le film appelle l'excellent Doute qui, lui, reste volontairement dans l'ambiguité. Deux films à voir absolument.

Et vive le cinéma scandinave, mes amis ! (Je rappelle au passage que Tomas Vinterberg est également l'auteur de l'incroyable Festen, encore un film que je voudrais bien revoir).


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