LA TOUX (d'après Maupassant)
Mon cher Onésime,
Je suis impuissant à trouver comme vous
De délicats synonymes
Pour parler de la toux.
J’ai besoin de périphrases.
Néanmoins, je me lance avec audace :
Une de mes cousines dormait
Auprès d’un homme enflammé.
Elle le connaissait peu
Ou plutôt depuis peu.
Avec un vieil ami, on ne se gêne pas.
On peut se retourner,
Lancer des coups de pied,
Occuper les trois quarts du matelas,
Ronfler, grogner, tousser,
( Je dis tousser ; transposez ! )
Ou éternuer.
( Que pensez-vous du synonyme éternuer ? )
Mais quand il s’agit d’une nouvelle relation,
Il faut faire un peu attention
Pour ne point incommoder son voisin de lit
Et maintenir…une certaine poésie.
( Je n’ai pas, Onésime, votre manière
Pour traiter …cette matière )
L’indisposition de ma cousine débuta
Dans le creux de son estomac
Par un discret bruit intérieur
Puis descendit vers les gorges inférieures.
Elle voulut prendre des précautions
Elle regarda son voisin avec circonspection.
Il dormait. Elle tenta d’expectorer
Mais la démangeaison étant trop forte.
Elle se mit à tousser.
Elle tenta avec sa bouche ( la véritable ),
De produire un bruit semblable
Pour…dérouter une éventuelle supposition
De son compagnon.
Elle se retourna, s’agita,
Le poussa. Il ne remuait pas.
Alors, elle chanta une chanson.
L’homme ne bougeait toujours pas.
Elle l’appela : -« Fortunat…»
Il lui dit :
-« Que veux-tu, chérie ? »
Elle demanda :
-« Tu ne dors pas ?
Tu n’as rien entendu ? » –« Non. »
-« Il m’a semblé qu’on marchait dans le salon. »
-« Ah ! Oui, j’ai entendu…On a toussé ! »
-« Où ça ? Qui est-ce qui a toussé ?
Tu es fou. Réponds donc…»
-« Est-ce bientôt fini cette scie, voyons !
Tu sais bien que c’est toi. »
Elle s’indigna, hurlant : -« Moi ?
Moi,…J’ai toussé ?
Ah ! Tu veux m’insulter.
Je n’ai jamais été traitée ainsi ! »
L’amant, voulant avoir la paix, reprit :
-« C’est moi qui ai toussé. »
-« Comment ? Vous,… à mes côtés ?…
Vous avez osé tousser…
Pendant que je dormais…
Et vous croyez que je vais rester avec vous
Si vous toussez toujours ainsi près de moi ? »
Furieuse, elle voulut se lever.
Il la retint par les pieds
Et lui dit :
-« Tu as toussé, voyons ! C’est toi !
Mais moi, je ne me plains pas.
Je ne me fâche pas. »
Alors Fortunat se dressa
Et…toussa
Par quintes, par roulements,
Avec des silences, des ralentissements,
Des reprises, des accélérations, avec brio,
Pétulance et soubresauts.
À la fin, il demanda : -« En as-tu assez ? »
Et il recommençait
Avec vivacité,
Impétuosité.
Elle se mit à rire comme une folle :
-« Ah ! Qu’il est drôle ! »
Elle le saisit dans ses bras :
-« Je t’aime, mon chat ! »
Mon cher Onésime,
Fi des synonymes !
Pardonnez mon incursion
Dans votre domaine de prédilection
Où je n’ai pas vos compétences
Ni même vos succulences
Mais je n’ai pu résister
Au désir d’empiéter
Sur votre fond de placement.
Merci de m’avoir ouvert la voie, céans.