Une aventure intérieure angoissante
Durant la Première Guerre mondiale, un jeune soldat américain est très grièvement blessé par un obus. Entouré de médecins décidant de le sauver à tout prix, on comprend très vite que le sort réservé par le corps médical dépasse largement l’entendement et la prise en compte de son bien être.Ce film coup de poing, voire coup de poignard, est l’œuvre de Dalton Trumbo qui réalise ici son premier et dernier film à 66 ans. Le gars n’est pourtant pas un « bleu », il est un scénariste de renom à Hollywood pour avoir travaillé avec Franck Capra, Otto Preminger, George Roy Hill, Stanley Kubrick,… et écrit les scénario de très grands films dont « Spartacus », « Exodus », « Papillon »,… Son projet est de mettre en image son propre roman « Johnny got his gun ». Ce roman, profondément anti militariste, sortira deux jours seulement avant le début de la 2ndeguerre mondiale et fera grand bruit. Ce film, sorti en 1971, au cœur des mouvements anti militaristes des 70’s contre la guerre du Vietnam ; il deviendra l’étendard des pacifistes. Le propos est donc intemporelle c’est ce qui en contribue à en faire un chef d’œuvre. Trumbo essuya de nombreux refus de grands studios ne trouvant pas le projet viable malgré l’appui du grand Luis Buñuel, un producteur indépendant croira en ce film ; heureusement pour nous. Il fût un des événements cinématographiques de l’année 1971 ; Grand Prix du Jury et Prix de la Critique au festival de Cannes. Il est donc très injustement peu connu du spectateur lambda. Pourquoi donc ?Peu de film afflige une telle torture mentale aux spectateurs, l’horreur psychologique atteint un niveau rarement vécu au cinéma. Le malaise du spectateur n’est que le relais de la torture psychologique vécue par le personnage principal. La force de la réalisation réside en partie dans la sobriété et la pudeur du traitement: aucune goutte de sang ; aucun plan écœurant sur les mutilations ; aucun renfort de musique larmoyante ; juste la voix-off de Johnny exprimant ses souffrances, la découverte progressive de son état, ses sensations et quelques trop rares moments de joies ;… Glaçant. Pour renforcer le malaise, Trumbo s’appuie sur un procédé artistique habile : la couleur sera réservée aux pensées et souvenirs de Johnny ; le noir et blanc à la dure réalité de sa condition, un tourment intérieur sans fin. Dans les pensées de Johnny, on voie très bien que les souvenirs et les pensées se brouillent le temps passant. Il en appelle aussi à Dieu ce qui donne des scènes surréalistes où il rencontre le Christ. Trumbo passe le spectateur à la moulinette jusqu’à la dernière minute, on a rarement autant souhaité la mort du personnage principal d’un film qu’ici. Considéré comme un film anti militariste majeur mettant l’accent sur l’absurdité de la guerre, il est donc aussi un plaidoyer pour l’euthanasie. Mais pas seulement, ce film d’une richesse extrême pose aussi la question de la conduite parfois cynique du corps médical ; de l’hypocrisie de la religion à travers l’intervention de Jesus dans les pensées de Johnny…Très proche de Kubrick, lui aussi fervent anti militariste, Trumbo reste moins dans les mémoires que son collègue réalisateur de « Les sentiers de la gloire » et « Full metal jacket » ; quelle injustice ! Ce film est un tel électro choc et tellement plus dur. Rarement œuvre cinématographique a été aussi déchirante et pessimiste jusqu’à la fin où Trumbo démontre en affichant des chiffres de pertes humaines qu’il est bien plus facile de glorifier des millions de soldats morts pour la patrie devenus des héros que des blessés tenus à l’abri du regard et coupés du monde.Un film indispensable exclusivement réservé à un public averti et bien armé à recevoir une telle claque.
Sorti en 1971