NEUROLOGIE - Pensée, calcul, mémoire, greffe, les interrogations sont nombreuses…
Pour les neurologues, seul l’univers est plus mystérieux que le fonctionnement de notre cerveau. Un organe d’une complexité quasi infinie que l’homme n’a pas fini d’apprivoiser. Du 10 au16 mars à l’occasion de la semaine du cerveau, plusieurs initiatives sont menées en France pour informer et répondre à certaines questions sur le sujet. Le professeur Yves Agid, neurologue et membre fondateur de l’ICM, tente déjà de répondre aux plus basiques d’entre elles…
Qu’est-ce qu’une pensée? «C’est inodore, incolore, sans goût. On peut juste l’entendre grâce au langage. C’est un processus mental. Un enchaînement de phénomènes qui aboutit à un résultat déterminé. Mais on ne sait pas trop ce que c’est. On ne comprend pas très bien le code de langage du cerveau. Un cerveau comprend 100 milliards de neurones à peu près. Mais il y a 1.000 milliards de cellules nerveuses. Un neurone a des milliers de connexions avec ses voisines. Voilà pourquoi le code est complexe. On se donne dix ans pour le comprendre.»
L’ordinateur peut-il être plus intelligent que le cerveau? «Le cerveau pense, pas l’ordinateur. Ils ne communiquent pas de la même manière. L’ordinateur comprend des chiffres en série, mis bout à bout. L’ordinateur est nécessairement automatique. Le cerveau ne l’est pas parce qu’il s’adapte. C’est ce qui fait que nous pouvons apprendre, nous développer. L’autre chose, c’est que l’ordinateur obéit. Le cerveau peut innover. C’est l’intelligence. Et puis l’ordinateur n’a pas d’émotion, alors que le cerveau est motivé, il a un élan vital. L’ordinateur est bête, il ne fait qu’obéir.»
La mémoire est-elle limitée? «Oui. Les mémoires d’ordinateurs sont illimitées. On ne pourra jamais lutter. Dans le livre le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley, on mettait les gens dans des machines et les «Alpha», la race supérieure récupérait d’un seul coup toute une mémoire. C’est du rêve. La mémoire humaine est limitée. Mais n’est-ce pas mieux? Si on n’oubliait rien, imaginez ce qui se passerait. Vous ne vous rappelez que de ce qui vous intéresse. Si vous reteniez milliseconde par milliseconde tout ce qui se passe autour de vous de manière inconsciente, vous deviendriez fou. Dieu merci, on oublie des informations de manière plus ou moins intelligente.»
Peut-on greffer ou implanter des cerveaux artificiels? «Non, ou alors dans 1.000 ans. C’est trop compliqué. Si on retire le cerveau qui envoie des milliards d’informations dans tout le corps, cela fait trop de dégâts. Un cerveau artificiel ne pourrait pas exister. Une simple section de la moelle épinière n’est pas réparable. Il y a trop de connexions. On peut faire des ordinateurs, mais de là à arriver à ce que la nature a conçu en 4,5 milliards d’années, sûrement pas. Par contre, ce qu’on peut imaginer pour une blessure, c’est de mettre un processeur qui donne des informations. C’est une ébauche notamment, pour la maladie de Parkinson par neurostimulation.»
Jusqu’où le cerveau peut-il être amélioré? «C’est ce qu’on appelle la neuro-augmentation. Il y a des groupes philosophiques dans ce monde qui pensent que l’homme est dans une situation de misère et qu’il faut l’améliorer parce que le monde se détériore. C’est dangereux. L’avis du comité d’éthique est plutôt négatif évidemment. Aux Etats-Unis, 4,5 millions d’enfants et adolescents prennent de l’amphétamine, de la ritaline pour être meilleurs à l’école. C’est très mauvais. Donc, oui le cerveau peut être amélioré, mais il ne faut pas trop tirer sur la corde, sinon on arrive à ces excès. Il faut se méfier de la science.»
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