Le voilà, le dernier BLAST ! La dernière confrontation entre la grasse carcasse de Polza Mancini et les deux inspecteurs qui poursuivent inlassablement l’interrogatoire de cet homme dont la culpabilité n’a jamais vraiment fait de doute, mais dont la motivation des actes barbares demeure cependant inconnue.
A coups de flash-backs, le lecteur poursuit le compte-rendu de cet homme qui a abandonné son foyer pour se mettre en marge de la société, à la recherche du BLAST, cet état second qui lui permet de s’évader d’une réalité qui ne lui a jamais vraiment souri. Une descente aux enfers certes rythmée par la prise d’alcool, de médicaments et de drogues, mais également accompagnée d’une bouffée de liberté et d’une communion avec la nature et marquée par quelques rencontres surprenantes. Après sa rencontre avec Jacky Jourdain, un dealer SDF, et celle de Vladimir et Illitch lors du tome précédent, Polza Mancini termine son errance auto-destructrice en compagnie de Roland Oudinot et sa fille Carole… celle qu’on le soupçonne d’avoir tuée. En attendant l’été pour reprendre la route, Polza lève le voile sur les pathologies de chacun, livrant au passage les dernières pièces qui permettront à tout le monde de reconstruire le puzzle des événements. Allant au bout de la noirceur de son récit, Larcenet ponctue la fuite de son héros d’un huis-clos en compagnie son ami schizophrène et de celle qu’il aime et d’un ultime BLAST… celui qui précède son arrestation.
Manu Larcenet prend à nouveau tout son temps pour narrer l’histoire de son personnage, alternant des passages muets pourvus d’une grande force évocatrice et des passages plus verbeux où chaque mot semble néanmoins pesé. Une justesse narrative qui permet de toucher à la personnalité de cet homme et d’aller bien au-delà de sa grasse carcasse, créant énormément d’empathie envers cet homme au casier judiciaire presque aussi imposant que sa masse corporelle. Physiquement, l’homme obèse et répugnant n’a rien pour plaire, mais dans le fond, cet écrivain de profession a quelque chose de poétique et de touchant. C’est avec grand intérêt que le lecteur accompagne l’errance de cet individu en rupture avec la société et qui, depuis sa "tendre" enfance est mis à l’écart. Le but de ce long voyage introspectif est la recherche du prochain BLAST, cet instant magique où il s’évade de son corps pour entrer en communion avec le monde, ce sentiment de plénitude qui, un bref instant, le libère de tous ses maux. Usant d’une narration proche de la perfection, l’homme se livre, partage ses angoisses, ses divagations, son mal-être, sa folie, ses malaises vis-à-vis de la société et ses réflexions sur le sens de la vie. Un parcours (sur)prenant qui permet à l’auteur d’aborder des thèmes qui lui sont chers, tels que la mort paternelle, l’angoisse, la dépression et l’automutilation. Un tome qui permet de plonger dans la noirceur de la nature humaine, dans la spirale auto-destructrice d’un homme privé d’amour paternel et vite qualifié « hors norme » par une société dont il cherche à se libérer. Au bout de cette torture psychologique et de cette recherche de liberté, une seule solution s’impose… une bouée de sauvetage pour cette vie et pour toutes les suivantes… une envie d’en finir à tout jamais… un adieu ponctué de mots qui témoignent de l’ampleur de sa souffrance : « Pourvu que les Bouddhistes se trompent… ».
Et pour couronner le tout, le récit est ponctué d’un épilogue qui apporte un nouvel éclairage sur l’ensemble des événements, qui permet de mieux comprendre ce qu’il se passe dans la tête de Polza Mancini lors de ses BLAST et qui appelle à une nouvelle lecture des quatre tomes de cette perle du neuvième art.
Graphiquement, nuançant le noir et le blanc avec brio, Manu Larcenet livre une ambiance sombre et glauque et des personnages répugnants, mais d’une grande expressivité. Si les dialogues lors de l’interrogatoire sont accrocheurs et les monologues du personnage central prenant, les moments plus contemplatifs et les silences proposés par l’auteur allient force et splendeur. Et que dire de ces dessins d’enfants (les siens), tout en couleurs, qui viennent interrompre le ballet grisâtre pendant les BLAST ? Ces quelques passages en couleur sont distillés avec justesse et parcimonie et accompagnent avec brio ces moments où Polza se déconnecte totalement de la réalité. Après les collages réalisés par Polza à l’hôpital psychiatrique lors du tome précédent et ces étranges tableaux qui semblaient exprimer sa propre souffrance, Manu Larcenet proposent de nouvelles trouvailles visuelles lors de cette conclusion qui démêle toutes les intrigues. Il y a tout d’abord les strips de "Jasper l’ours bipolaire" dessinés par son ami Ferri, mais il y a surtout ces nouveaux collages qui illustrent avec maestria les pulsions sexuelles perverses de Roland Oudinot.
Chef-d’œuvre, ovni, série coup de poing, grosse claque ou BLAST… faites votre choix, mais peu importe le terme choisi, cette saga ne laissera personne indifférent !
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