Pour la première fois de l’histoire de l’Union Européenne, des candidats ont
été désignés avant les élections européennes des 22 au 25 mai 2014 à la fonction de Président de la Commission Européenne. Première partie.
Les historiens auront peut-être du mal à déterminer
avec exactitude qui en fut la cause, mais les élections européennes qui auront lieu le 25 mai 2014 en
France (du 22 au 25 mai pour certains pays) vont être très particulières.
C’est principalement la conjonction de trois effets : d’abord, une conséquence directe du Traité de Lisbonne qui insuffle aux institutions européennes une dose supplémentaire de démocratie (jamais, par
rapport à précédemment, on n’a atteint un tel niveau de démocratie, niveau encore insuffisant mais nettement supérieur aux échéances précédentes), l’ambition assez mordante de Martin Schulz, social-démocrate allemand et actuel Président du Parlement Européen, ainsi qu’un climat de plus en plus délétère au sein des peuples européens sur le
propre devenir de la construction européenne.
De quoi s’agit-il ?
C’est la première fois depuis que les députés européens sont élus au suffrage universel direct, initiative
que l’on doit au Président Valéry Giscard d’Estaing et au Chancelier Helmut Schmidt appliquée pour la
première fois le 7 juin 1979, il y a trente-cinq ans, qu’il y a un véritable enjeu européen dans la campagne des élections européennes. Un enjeu supranational (oh, un mot si horrible pour
certains).
En effet, pour la première fois, les différents partis présents dans la compétition électorale ont décidé de
soutenir des candidats au poste de Président de la Commission Européenne. Jusqu’en 2013, aucune personnalité n’était, du moins officiellement, candidate à ces fonctions essentielles pour l’avenir
de l’Europe.
Ombre et lumière
Jusqu’à maintenant, c’était lors d’un laborieux Sommet européen que le Conseil Européen, c’est-à-dire les
chefs d’État et de gouvernement des (maintenant) vingt-huit membres choisissaient, à l’unanimité, la personnalité chargée de présider la Commission Européenne. Seule, sa couleur politique devait
rester cohérente avec la majorité (relative) obtenue chez les parlementaires européens.
Une personnalité nommée par des chefs d’exécutifs souvent jaloux de leurs prérogatives nationales, et à
l’unanimité, donc, une personnalité consensuelle, donc, qui ne clive pas, en quelques sortes, qui n’impulse rien. En ce sens, l’actuel titulaire de la fonction, l’ancien Premier Ministre
portugais José Manuel Barroso faisait parfaitement l’affaire : ne faisant rien, sauf des gaffes monumentales lors de ses déclarations en français (notamment lors de la campagne référendaire
en 2005), ne faisant surtout pas d’ombre aux chefs d’État et de gouvernement, il était la personnalité idéale pour tout le monde.
Hélas, pas pour l’Union Européenne, d’autant plus que ses options économiques très libérales ont été, dans
l’évolution, l’une des causes des difficultés économiques dans certains pays européens, en particulier la France, qui nécessitent plus une solidarité communautaire qu’une mise en concurrence
interne qui réduit la compétitivité externe face à des grands ensembles économiques (en particulier États-Unis et Chine).
Pour l’instant, seul Jacques Delors, ancien Ministre de l’Économie et des Finances des gouvernements de Pierre Mauroy, avait réussi à créer une dynamique personnelle à l’Europe malgré l’enlisement budgétaire dû à la Premier Ministre
britannique Margaret Thatcher, pendant ses deux mandats de 1985 à 1995, en initiant l’Acte unique
européen, le Traité de Maastricht, et les Accords de Schengen trois avancées fondamentales.
De même, la fonction de Président du Conseil Européen créée par le Traité de Lisbonne aurait pu être
l’occasion, à une personnalité très charismatique (on parlait, en fin 2008, de l’ancien Premier Ministre britannique Tony Blair) d’impulser une nouvelle phase de la construction européenne. Les
chefs d’État et de gouvernement ont préféré choisir une personnalité, certes fort intelligente et sympathique, mais pas du tout à la hauteur de l’enjeu historique, avec Herman Van Rompuy qui, lui non plus, ne pouvait faire d’ombre à aucun dirigeant national.
En finir avec le manque de ...visage
Le choix récurrent de préférer un homme, certes expérimenté, c’est comme donner une récompense, un bâton de
maréchal à un homme pour une carrière politique honorable. Il faudrait plutôt une personnalité qui en aurait la vocation, qui aurait décidé de se consacrer cœur et âme à cette fonction de "chef
de l’Union Européenne". Le systématique mauvais casting depuis une dizaine d’années a rendu les institutions européennes à la fois atones et impopulaires, suscitant doute voire suspicion et
créant un véritable mouvement d’opposition frontale à la construction européenne malgré les avantages
évidents de celle-ci, que la crise économique et sociale peut faire oublier.
C’est pour éviter de poursuivre dans cette lente déshérence que le Président du Parlement Européen, Martin
Schulz, a souhaité rompre avec ces habitudes et vouloir faire de ces élections européennes de 2014 un véritable choix supranational sur qui dirigera la Commission Européenne et pour quoi faire.
Paradoxalement, José Manuel Barroso avait réussi à gagner son second mandat à la tête de la Commission Européenne en 2009 grâce à Martin Schulz, à l’époque président (influent) du groupe des
socialistes européens au Parlement Européen qui avait négocié le maintien de José Manuel Barroso en échange de son élection à la tête du Parlement Européen pour la seconde moitié de la
législature.
Depuis un an, Martin Schulz a donc changé son fusil d’épaule et fait véritablement campagne, partout dans les
pays européens, pour proposer un nouvel axe politique et s’opposer aux populismes qui voudraient jeter le bébé avec l’eau du bain. Si bien que lorsque les socialistes européens (PSE) ont décidé
de choisir qui serait leur candidat à la Présidence de la Commission Européenne, il n’y a eu qu’un seul candidat (le 6 novembre 2013), lui, Martin Schulz, qui a donc été investi sans surprise et
triomphalement au congrès du PSE le 1er mars 2014 à Rome (y compris par les socialistes grecs).
La politique peut dépasser le juridique
Cependant, depuis l’automne 2013, cette initiative a dérangé beaucoup de chancelleries européennes. Beaucoup
de monde considère que les partis politiques n’avaient pas à s’ingérer dans les affaires du Conseil Européen, en désignant à l’avance leur candidat à ce poste. Cette nomination n’était censée
être que la conséquence de discussions entre les chefs d’État et de gouvernement qui voudraient rester libres et maîtres de leur choix. Le Premier Ministre britannique David Cameron, ainsi, a mis
en garde et a annoncé dès maintenant qu’il refuserait toute nomination de Martin Schulz. Mais ce dernier ne craint pas le conflit puisqu’il a su engager un véritable rapport de force entre le Parlement Européen et le Conseil Européen sur la programmation budgétaire européenne.
Même si les socialistes français vont avoir un très mauvais score en raison de la grande impopularité du
gouvernement et du Président François Hollande (cependant, peut-être pas pire que le 7 juin 2009 où Europe Écologie avait mordu à pleines dents
dans l’électorat socialiste), les premiers sondages européens laisseraient entendre que les socialistes européens auraient une légère avance sur le PPE (Parti populaire européen, c’est-à-dire les
démocrates-chrétiens européens, représentés en France par l’UMP et en Allemagne par la CDU-CSU), ce qui voudrait dire que le combat de Martin Schulz serait loin d’être perdu d’avance.
L’article 17 du Traité de Lisbonne est un bon complice de la politisation voulue par Martin Schulz, qui
impose la procédure suivante : « En tenant compte des élections au Parlement Européen, et après avoir procédé aux consultations appropriées, le
Conseil Européen, statuant à la majorité qualifiée, propose au Parlement Européen un candidat à la fonction de Président de la Commission Européenne. (…) [Celui-ci] est élu par le Parlement
Européen à la majorité des membres qui le composent. ».
Contre les candidatures à l'avance
Beaucoup de personnalités européennes avaient même expliqué qu’il ne fallait pas désigner de candidat à la
Présidence de la Commission Européenne, en raison de leur vision intergouvernementale de l’Europe : la Chancelière allemande Angela Merkel, le Premier Ministre suédois Frederik Reinfeldt, et
même Herman Van Rompuy.
Le 25 octobre 2013, Angela Merkel voulait réexpliquer le Traité : « Le traité stipule clairement que [les résultats des élections] doivent être pris en compte. (…) Le Président de la Commission Européenne est élu par le
Parlement Européen sur proposition du Conseil Européen. À mes yeux, il n’existe aucun lien automatique entre le nombre de votes et [les hautes fonctions] à pourvoir. ». Et
d’ajouter : « De nombreux éléments seront à prendre en considération et de nombreuses décisions seront prises après les élections
européennes. ».
Même réaction pour un haut responsable du PPE le 30 octobre 2013 : « Désigner le candidat à l’avance, ça veut dire que [les chefs d’État et de gouvernement] sont obligés de décider, de détacher un des postes à l’avance dans le
panier final, qui comprend d’autres postes dont les chefs d’État ont l’habitude de discuter ensemble. ».
Parmi les opposants à cette tentative de récupération parlementaire de la Commission Européenne, il y a ceux
qui considèrent qu’il ne faudrait surtout pas politiser la Commission Européenne comme l’expliquait dans "Le Monde du 1er octobre 2013 un diplomate de haut rang : « Imaginez un Président élu sur un programme de droite recommander à un gouvernement de gauche de réformer les retraites, cela va poser un gros problème de
légitimité. ».
Herman Van Rompuy, l’homme sans visage, estimait le 10 octobre 2013 à Bruxelles : « Vous ne devez pas chercher de solutions quand il n’y a pas de problème. Rechercher des visages pour guider l’Union Européenne n’est pas une solution. (…) Nos problèmes ne sont pas institutionnels. Nous pouvons réaliser de nombreuses choses [dans le cadre] des traités existants. ». Il
craignait le 11 octobre 2013 que ces candidatures provoqueraient à terme une « déception courue d’avance ».
Pour les candidatures à l'avance
Quant à Jacques Delors, il s’inquiétait le 10 octobre 2014 à la télévision belge RTBF : « J’y tiens toujours [à l’introduction de candidats publics], mais que se passera-t-il si un candidat remporte les élections, mais ne plaît pas à deux ou trois
gouvernements ? ». Son ancien directeur de cabinet aurait sa préférence : « On va m’accuser de favoritisme, mais le meilleur
candidat serait Pascal Lamy. (…) Dans tout son travail, Pascal Lamy a montré que (…) la liberté nécessite des marchés mais nécessite une régulation. C’est d’ailleurs le modèle même de l’économie
allemande : économie sociale de marché. ».
Au contraire, les partisans de la construction européenne souhaitent renforcer la démocratie européenne en
empêchant toutes les transactions et marchandages secrets dans les coulisses du Conseil Européen pour pourvoir aux différentes responsabilités (il y a trois postes importants à pourvoir pour la
fin 2014 : Président de la Commission Européenne, Président du Conseil Européen et Haut représentant de l’Union Européenne aux Affaires étrangères). En rendant plus transparente la procédure
de désignation du chef de l’exécutif européen, par l’établissement d’un lien direct entre élection et désignation, on renforce forcément le processus démocratique. Et une fois adoptée, cette
pratique sera irréversible.
Réunis sans rapport avec ce sujet le 16 octobre 2013 à Bruxelles, les directeurs de campagne des différents partis européens se sont retrouvés pour
dire l’importance que leurs partis désignent leur propre candidat à la Présidence de la Commission Européenne, pour court-circuiter les chefs d’État et de gouvernement. Ainsi, au PSE, on n’a pas
hésité à le dire clairement : « Parfois, si vous le faites bien, la politique peut dépasser le juridique. (…) Une partie de la stratégie vise à
maximiser les attentes : si les gens s’attendent à ce que leur candidat occupe le poste, il est difficile de renverser la situation. » (Brian Synnott).
Le Sommet européen des 26 et 27 juin 2014 sera donc essentiel sur ce sujet : le Conseil Européen suivra-t-il le Parlement Européen ou, au
contraire, ferait comme si aucun candidat n’avait été déclaré.
Dans l’article suivant, je passerai les candidats
officiellement en course pour diriger l’exécutif européen dans quelques mois.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (10 mars
2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Martin Schulz.
Jean-Claude Juncker.
Guy Verhofstadt.
Michel Barnier.
Enrico Letta.
Matteo Renzi.
Herman Van Rompuy.
Gaston Thorn.
Borislaw Geremek.
Daniel Cohn-Bendit.
Mario Draghi.
Le budget européen 2014-2020.
Euroscepticisme.
Le syndrome anti-européen.
Pas de nouveau mode de scrutin aux élections
européennes, dommage.
Têtes des listes centristes de
L’Alternative aux européennes 2014 (à télécharger).
Risque de
shutdown européen.
L’Europe des Vingt-huit.
La révolte du Parlement Européen.
La construction
européenne.
L’Union
Européenne, c’est la paix.
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/innovation-europeenne-2014-1-2-149123