-Les armoiries de l'Ukraine-
Bonjour à tous, revenons sur l'Ukraine où la situation a bien évolué depuis décembre dernier.
Comme l’indique le titre, le but de cet article n’est pas de rappeler que Ianoukovitch n’est plus le président de l’Ukraine ni encore que des élections sont prévues ou bien que Vladimir Poutine a avancé ses pions avec habilité en Crimée pour défier un Occident qui sur-interprète ses intentions. Le but est plutôt d’ajouter quelques éléments à la réflexion, de recontextualiser certains faits et de présenter quelques analyses de vrais experts en géopolitique et en diplomatie, pour aller un peu plus loin que les actualités (toujours les mêmes) des médias les plus regardés.
La situation vient en partie d’une hypocrisie partagée
Ils nous parlent « d’intégrité territoriale », de « nouvelle scission au sein de l’Europe », de « sanctions économiques », « d’ingérence » suite à l’intervention de la Russie en Crimée (sur laquelle nous reviendrons). Mais mis à part proférer ces grands mots, nos politiques ne sont-ils pas capables d’une autocritique ? Quelques faits sont à rappeler pour montrer toute l’hypocrisie déployée.
-Premièrement la Russie intervient militairement et il semble que cela embête les américains qui affirment que ce n’est pas une manière d’agir au XXIème siècle. Mais qui est intervenu en 2003 en Irak ?
-Deuxièmement l’Ukraine fut littéralement prise en otage par les deux camps concernant ces traités économiques de rapprochement : chaque affirmait l’incompatibilité des traités entre eux. Mais si l’on regarde la situation géopolitique et historique de l’Ukraine, n’est ce pas la compatibilité entre plusieurs partenaires qui s’impose ?
-Troisièmement concernant la Crimée, le parallèle peut-être fait avec la Géorgie ou encore le Kosovo et là, comble de l’hypocrisie, chaque camps, dans les différentes affaires, défendent à fronts renversés des positions contradictoires : sur le Kosovo par exemple, la Russie défend l’intégrité territoriale et l’UE défend la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, ce qui n’est pas le cas à présent pour la Crimée.
-Quatrièmement, lorsque François Hollande parle de « retour de l’ingérence », il ne peut être sérieux ou alors il est hypocrite. Certes l’ingérence Russe est évidente, mais l’Union Européenne et les Etats-Unis ne pratiquent-ils pas à outrance l’ingérence politique ? En effet, dès novembre et décembre 2013, lors des manifestations, des hommes politiques américains allaient soutenir les manifestants Ukrainiens. De plus, le financement des mouvements radicaux est on ne peux plus d’actualité, ne serait-ce qu’en Syrie où l’ingérence politique est aussi très claire.
Il n’y a pas de très gentils d’un côté et de très méchants de l’autre
Si la situation d’opposition entre la Russie et les Etats-Unis peut rappeler une situation de type guerre froide, il ne faut pas oublier que les choses ont changé depuis 1991 et qu’aucun élément significatif ne nous a fait réellement rebasculé dans une telle conflictualité. Des tensions et intérêts divergents existent entre la Russie et les Etats-Unis, mais de là à croire de nouveau à une guerre froide avec un camp des gentils et un camp des méchants, il y a un gros pas à [ne pas] franchir. En tous les cas, la tournure des évènements donne presque l’impression que ce sont les Etats-Unis qui essayent d’entretenir une situation de guerre froide, d’abord avec la volonté continue d’agrandir l’OTAN, ensuite parce que le projet anti-missile n’est plus suspendu. C’est aussi du côté de l’Occident que l’on entend parler de boycott des Jeux Paralympiques de Sotchi au lieu de parler de négociations et d’évoquer le vrai fond de l’affaire de manière nuancée. En bref, là encore, quelques faits sont à reprendre en considération pour bien prendre conscience de la complexité de cette affaire qui ne se résume pas à noir contre blanc.
-Premièrement concernant l’Ukraine, même si Ianoukovitch semble avoir mal géré le pays (ce que même Poutine est capable de reconnaître implicitement), il n’a pas été un président contesté lors de son élection en 2010 (reconnue démocratique par l’Union Européenne). Aussi les manifestants de la place Maïdan n’étaient pas tous de gentils pacifistes pro-Européens. Quatre blocs étaient présents : les libéraux, les conservateurs, Svodoba et Secteur Droit (deux partis nationalistes que certains qualifient même de néo-nazis). En soutenant les manifestations l’Occident s’est ainsi mué en allié objectif de ce qu’il rejette le plus. Il pourrait même favoriser ces partis en vue des prochaines élections. Ce qui est également intéressant et ironique, c’est de constater que des partis nationalistes s’associent à des partis européistes : ne font-ils pas le jeu de ce qu’ils pourraient contester à l’avenir ? En effet, si un jour l’Ukraine adhère à l’Union Européenne, cela ne pourra se faire sans contrepartie sur la souveraineté…
-Deuxièmement, à propos de la Crimée, il faut aussi rappeler certaines choses. D’abord, il s’agit d’une région située au sud de l’Ukraine, habitée en grande majorité par des Russes et qui a un passé historique très lié à la Russie. De même, la Crimée bénéficie au sein de l’Ukraine d’une certaine autonomie, notamment linguistique, ce qui a par ailleurs failli lui être retiré suite au renversement du pouvoir fin février dernier. C’est en partie pour défendre les intérêts de la communauté Russe dans ce contexte de révolution (perçue comme illégale) que Poutine a décidé d’intervenir militairement en Crimée. Néanmoins, nuançons le tableau. En effet, la Russie avait des bases et des troupes en Crimée en vertu d’accords avec l’Ukraine. La seule chose qui paraît illégale dans cette intervention, c’est que Kiev n’a pas été prévenu, mais dans quel camp se situe réellement la légalité quand on sait que Moscou ne reconnaît pas comme légal le pouvoir de transition actuel.
En vérité, cette intervention en Crimée est aussi une occasion rêvée pour Poutine de renforcer sa position diplomatique face à l’Occident. Selon Pascal Boniface, c’est même une revanche après le Kosovo. C’est peut-être également une manière de mettre l’Occident face à ses contradictions. Vladimir Poutine sait que malgré la menace d’une scission de la Crimée, les Occidentaux n’iront pas jusqu’à aider militairement l’Ukraine. C’est aussi avec une grande habilité que Poutine a suscité le référendum sur l’autodétermination de la Crimée, prévu le 16 mars prochain, pour savoir si la Crimée se ralliera à la Russie. Problème : le référendum ne semble pas être reconnu par l’Ukraine.
Une seule solution : la négociation
Suite au coup de force Russe, on nous parle avec fermeté et véhémence de sanctions à l’égard de la Russie, de boycott… Mais encore une fois, la logique de guerre froide n’est pas à l’heure actuelle la plus porteuse. Une solution sur l’Ukraine ne peut se faire raisonnablement sans la Russie qui a des intérêts à défendre. N’oublions pas que nombreux sont les Russes à habiter en Ukraine.
-Premièrement les sanctions économiques et politiques présentées par l’Union Européenne sont dérisoires et seraient sans grand effet. En effet, renvoyer la Russie du G8 serait symboliquement fort mais en quoi cela changerait le problème de fond qui de toute façon concerne en partie la Russie ? Pire encore, les sanctions économiques correspondent à des gesticulations plus qu’irréalistes : la Russie peut évidemment riposter avec plus d’impact en ne fournissant plus de gaz, ce qu’elle a déjà fait par le passé avec l’Ukraine. On frise presque le ridicule lorsqu’on entend enfin Daniel Cohn-Bendit proposer de boycotter…la coupe du monde de Football de 2018. En quoi est-ce une menace réelle ? Où est la pression dans une proposition aussi lointaine ? Pascal Boniface rajoute qu’à l’inverse du passé de guerre froide, nous serions beaucoup moins suivis et nous nous isolerions nous-mêmes. Une solution contre-productive et peut-être même bien peu réalisable…
-Deuxièmement, il s’agit en fait de penser avant tout aux intérêts de l’Ukraine et non de raisonner en faveur des « blocs ». L’Ukraine, comme on a pu de nouveau le constater, est un pays divisé politiquement et linguistiquement. Il s’agit de considérer les intérêts de l’ensemble des Ukrainiens pour débloquer la situation. Il est évident qu’un président pro-Russe ne contenterait pas la moitié ouest de l’Ukraine et qu’un président pro-UE ne contenterait pas la moitié est de l’Ukraine. Il est donc important pour les candidats à l’élection présidentielle en Ukraine de considérer tous les points de vue. Mais surtout, c’est aux Russes et aux Européens (et non aux Américains quoi doivent se mêler de ce qui les regarde) de s’accorder sur une neutralité de l’Ukraine. L’Ukraine, au lieu d’être un sujet de discorde, pourrait bien être un pays moteur dans un éventuel rapprochement entre UE et Russie. Pourquoi l’Ukraine devrait-elle se contenter d’un seul partenaire et d’être prise en otage jusqu’à choisir ? Le problème est là que les « empires » que sont l’UE et la Russie voient en l’Ukraine une province de plus qui leur permettrait d’élargir leur influence. La bonne démarche est donc celle de la négociation et non celle d’un schéma de guerre froide, qui est désuet dans un monde multipolaire…
Quoi qu’il en soit, les événements à venir seront déterminants : prochaine étape le 16 mars avec le référendum en Crimée…
Sources :
Blog d'Aymeric ChaupradeFrance 24France 24Le blog d'Olivier Berruyer (Les Crises)Le Blog de Pascal BonifaceLe Blog de Pascal Boniface
Vin DEX