M. JOCASTE (d'après Maupassant)
M. Jocaste, quarante ans,
Epousa Marie pour sa dot.
Elle, n’avait que seize ans
Et aspirait au bonheur.
Elle était mignonne, un peu boulotte.
Son vœu le plus cher
Était d’avoir un enfant.
Elle n’en eut pas.
Un soir d’hiver,
Marie rencontra
Un jeune homme de vingt-trois ans.
Il aurait commis des folies pour elle.
Il s’appelait Pierre Martel.
Elle résista longtemps.
Mais quand leurs yeux se rencontraient,
Leurs cœurs se soulevaient.
Que peuvent les sentiments
Contre des instincts violents ?
Que peut le préjugé de la pudeur
Contre de naturelles ardeurs ?
Leurs doigts se touchèrent.
Leurs corps se frôlèrent.
La force brutale des sens les jeta
L’un à l’autre ; elle s’abandonna.
Elle fut grosse. Mais de son amant
Ou de son mari ?
Sans doute de l’amant.
Personne n’a approfondi.
Marie ne survécut pas à l’accouchement.
Elle avait fait jurer à son amant
De veiller sur Elodie, son enfant,
Toute sa vie durant.
Vingt ans plus tard, Pierre apprit
Le décès de Jocaste, le mari.
Elodie ayant été recueillie
Par sa tante,
Pierre se présenta chez la parente
En évitant d’éveiller tout soupçon.
Mais quand Elodie entra dans le salon,
Il tressaillit de surprise.
Elle avait les mêmes yeux,
Les mêmes cheveux,
La même bouche cerise,
Les mêmes formes arrondies
Que Marie.
Il se mit à fréquenter
La maison qu’Élodie habitait.
Il ne pouvait plus se passer d’elle.
Il aimait sa causerie rieuse,
Les bruissements de sa robe pastel,
Ses intonations délicieuses.
Oubliant le temps passé,
Il finit par confondre en sa pensée
La mère et la fille.
Un soir d’avril,
Alors qu’ils parlaient sur le sofa,
Pierre soudain
Dans un paternel mouvement
Lui prit la main.
Élodie tomba dans ses bras.
On devient fou par moments !
Leurs bouches se rencontrèrent
Et, tendrement, ils s’embrassèrent.
Elle aima Pierre ardemment.
Lui, l’aima avec le même emportement.
Était-elle sa fille, au fait ?
Ah ! Les hasards des fécondations !
Ah ! La loi brutale de la reproduction !
Et puis qu’importe ? Qui donc saurait ?
Jocaste, le soi-disant père
Était mort.
Et Pierre se souvenait encore
Qu’il avait juré à Marie, la mère
De veiller sur Elodie
Durant toute sa vie.
Le soir même, Pierre demanda sa main
Et fit publier les bans dès le lendemain.