Fernando vient d'enterrer son frère, Alejandro, que tout le monde appelait "le Singe", accompagné par ses deux meilleurs amis, Daniel, dit "le Russe" et Mauricio. Ces quatre-là sont inséparables depuis leur enfance, à Castelar, une commune de l'agglomération de Buenos Aires. Mais la mort prématurée du Singe leur donne un brusque coup de vieux, eux qui ont toujours été plutôt du genre insouciant...
Mais, ils vont devoir gérer une (mauvaise) surprise que leur a réservée le Singe avant de mourir : ses avoirs se résument à quelques pesos... Pourtant, le Singe avait touché une grosse somme d'argent à son départ de la société informatique qui l'employait et ses amis ne le voient pas tout dépenser alors qu'il laisse une fillette de 7 ans, Guadalupe, que sa mère, séparée du Singe, fait tout pour éloigner d'eux...
Cet argent, plus de 300.000 dollars, quand même, les 3 copains le retrouvent sur un titre de propriété qui revient à la mère du Singe et de Fernando. Apparemment, le Singe a misé tout son argent dans cet investissement un peu particulier : il a acheté, comme c'est possible en Argentine (alors que c'est interdit en France), la totalité des droits d'un joueur de football...
Fernando, le Russe et Mauricio sont pantois. Il connaissait la passion du Singe pour ce sport, il avait lui-même failli embrasser une carrière professionnelle dans ses jeunes années, mais n'avait pas trouvé de club souhaitant s'attacher ses talents apparemment jugés insuffisants... Il a donc trouvé comment revenir dans ce monde qui le fascinait par une autre porte...
Mais, ses trois amis voudraient récupérer l'argent, car ils comptent dessus pour financer les études de Guadalupe et espèrent ainsi convaincre l'ex pas vraiment éplorée du Singe de leur accorder un droit de visite régulier... Une seule solution se présente donc à eux : revendre les parts du footballeur, placer l'argent et le faire fructifier jusqu'à la majorité de Guadalupe, tout en en prélevant une partie pour améliorer son train de vie actuel...
Rien de plus simple, pensent-ils, surtout avec Mauricio, qui est avocat, dans leur bande ! Rien de plus simple, en effet, sauf qu'ils vont vite se rendre compte que le Singe a misé sur le mauvais cheval, pardon, sur le mauvais joueur. Mario Juan Bautista Pittilanga n'a rien d'un Maradona ou d'un Messi, c'est, disons les choses tout net, un tocard...
Il a été sélectionné dans l'équipe d'Argentine qui a joué, quelques années plus tôt, un championnat du monde des moins de 17 ans en Indonésie, mais depuis, il n'a jamais placé les espoirs placés en lui, et pas seulement par le Singe. Résultat, il a été prêté par le club de Platense (club où fut formé David Trezeguet) à un club de seconde, voire de troisième zone, et même là, il ne brille guère par ses performances d'attaquants...
Il est tellement mauvais qu'il est peu probable qu'un nouveau contrat lui soit proposé. Ce qui signifierait que les 300.000 dollars du Singe partiraient en fumée, et les études de Guadalupe avec. Il va donc falloir aux trois amis faire vite afin de récupérer l'investissement initial du Singe, dans son intégralité, si possible...
Mais, ni Fernando, simple professeur dans un collège d'un village pauvre et rural, ni le Russe, propriétaire d'une station de lavage de voitures au bord de la faillite, comme toutes ses autres entreprises auparavant, ni Mauricio, l'avocat d'affaires, ne connaissent le milieu du foot. Et refourguer Pittilanga ne s'annonce pas facile, vu ses états de service peu encourageants... Pour autant, aucun des trois n'imagine dans quelle galère ils s'engagent, ni les conséquences que cette histoire aura sur leur relation.
Parallèlement à ces recherches délicates, on découvre la relation qui unissait le Singe, Fernando, le Russe et Mauricio, à travers de courts chapitres, essentiellement composés de discussions entre les quatre amis. Y apparaissent leur amitié indéfectible, même lorsque le Singe sera au plus mal, leur volonté de l'aider mais aussi leur humour, leurs coups de blues... et leur passion pour le foot, et particulièrement pour le club d'Independiente.
On les découvre, pour qui en doutait, unis comme les doigts de la main, inséparables, capables de faire les 400 coups ensemble. Fernando qui veille sur son plus jeune frère comme sur la prunelle de ses yeux, qui est son confident, son ami, le Russe, toujours là dans les bons (et les mauvais) moments, et Mauricio, plus en retrait, apparemment, mais jamais loin.
Ces moments, parsemés au fil du récit, sont chargés d'émotion, puisqu'on sait d'emblée que le Singe va mourir. Mais, on se rend surtout compte que ce décès a agi comme une onde de choc sur les trois amis survivants... Jusqu'ici, malgré les aléas de la vie, inévitables, rien n'avait poussé ces quatre zigotos à grandir.
Tous se comportent comme des enfants, malgré leurs vies d'adultes. Fernando, dénué d'ambition, enseigne sans espoir à des élèves en difficulté, Mauricio est avocat, c'est vrai, mais il trompe sa femme avec sa secrétaire, rattrapé par la crise de la quarantaine, enfin, le Russe qui rate tout ce qu'il entreprend mais s'en fout, préférant organiser des tournois de foot sur console avec ses employés que chercher à élargir sa rare clientèle...
Mais, entre la mort du Singe et l'urgence de vendre les droits de Pittilanga, ils sont rattrapés brutalement par un sens des responsabilités très adulte qui leur était apparemment inconnu jusque-là... Oui, d'un seul coup, ils passent de 15 ans à la quarantaine qu'ils ont atteint sans s'en rendre compte et ils se mettent en quatre pour honorer la mémoire du Singe, lui rendre, à défaut de la vie, ce qui lui appartenait. En consacrant cet argent à Guadalupe plutôt qu'à un footballeur à l'avenir plus qu'incertain, ils permettront à sa mémoire de perdurer...
Pour y parvenir, ils vont avoir besoin de s'appuyer sur cette forte amitié qui les unit depuis toujours. Chacun va devoir y mettre du sien, se décarcasser pour réussir à rendre Pittilanga plus attractif. Suffisamment, en tout cas, pour ne pas revendre ses parts à perte... Et le faire avec un sérieux auquel ils n'ont pas toujours été habitués...
Mais, plus ennuyeux, en devenant adultes, les voilà rattrapés par les problèmes d'adultes : l'argent, pas seulement celui investi par le Singe, celui grâce auquel ils vivent, tout bêtement, l'ambition, la roublardise, le cynisme, le foot business et ses embrouilles... Et, comme si la disparition du Singe avait lézardé le bel édifice de leur amitié, des dissensions vont apparaître entre eux...
Pendant qu'ils se résolvent à l'idée de devoir se montrer plus malin s'ils veulent parvenir à leurs fins, leur relation se tend, chacun cesse d'agir collectivement pour prendre des initiatives individuelles à tour de rôle. On est presque dans une métaphore footballistique, une équipe dont le jeu bien huilé s'enraye brusquement, où chacun met en péril l'équilibre de l'équipe et, sans forcément le vouloir, tire la couverture à lui.
Oui, le côté sombre de ce roman, c'est bel et bien cela : n'assiste-t-on pas à la fin de cette amitié, dont le glas aurait été sonné par la mort prématurée du Singe ? Le contraste est tel entre la complicité d'avant et les doutes d'aujourd'hui ! Ce qu'ils entreprennent, au fur et à mesure que s'estompe leur naïveté, ce qu'ils échouent à accomplir, tout cela ébranle leur relation jusque-là sans histoire, sans anicroche...
Tout ce que je suis en train de raconter a l'air bien sérieux, et pourtant, il faut reconnaître qu'on s'amuse énormément à cette lecture. "Petits papiers au gré du vent" a quelque chose d'une comédie à l'italienne, douce amère, espiègle et drôle malgré le contexte dramatique qui sous-tend l'histoire. Fernando, le Russe et Mauricio sont des Pieds Nickelés, ils débarquent dans le monde du foot avec zéro crédibilité, des chiens dans un jeu de quilles...
Leurs petits soucis domestiques, les hommes d'affaire qui désormais, règnent sur le foot s'en moquent éperdument. Personne n'est dupe de la qualité du joueur qu'ils essayent de vendre. Ce ne sont pas des acheteurs aveugles, on se renseigne avant de miser des sommes importantes sur un joueur, qui plus est quand il n'est pas une tête d'affiche...
Alors, on sourit à leurs maladresses, à leurs espoirs déçus, parfois dans des situations grand-guignolesques, comme lorsque s'emmêle le père de Pittilanga... On s'attache à Fernando, qui veut tant aider sa nièce, on se prend d'affection pour le Russe, tellement immature et foutraque, on s'indigne, aussi, quand ça commence à chauffer entre eux et que des mauvais coups, des mesquineries font leur apparition...
Et puis, on reprend espoir, on ne le perd jamais vraiment, une bonne volonté pareille, même dans un monde comme le nôtre, ça ne peut pas déboucher sur rien, sur des larmes et de la rancoeur... On ressent encore plein d'autres émotions, mais je ne vais pas en dire plus, car cette histoire n'a, au final, rien d'ordinaire, et les plus malins ne sont pas forcément ceux que l'on croit...
Quand je parlais plus haut d'un contexte plus sombre, je voudrais approfondir un peu. L'histoire d'une amitié qui se fissure, je l'ai évoqué, je n'y reviens pas. Mais, il faut ajouter l'Argentine, en toile de fond. Un pays qui a traversé une crise terrible au début du siècle et qui peine encore à s'en remettre... Le libéralisme débridé a ruiné le pays et les classes moyennes, qui survivent encore comme elles peuvent, des années après...
Dans cette ambiance lourde, pas toujours drôle d'un pays à genoux, le football, passion nationale, devient un exutoire, le moyen d'exprimer sa fierté d'être argentin, son appartenance à un groupe, un chauvinisme de bon aloi. Il faut dire que Buenos Aires possède un très grand nombre de clubs professionnels ou jouant dans des divisions inférieures et chacun d'entre eux possèdent des caractéristiques bien précises et des fans fidèles du berceau au cercueil...
La rivalité entre ces clubs restent assez saine, même si on n'est désormais jamais à l'abri des débordements, hélas, mais surtout, on brandit fièrement ses couleurs. Nos amis sont supporteurs d'Independiente, je l'ai dit, un club qui a connu son heure de gloire jusque dans les années 80 avant de connaître un déclin que personne n'a su endiguer depuis...
Dans les chapitres où apparaît le Singe de son vivant, celui-ci évoque l'histoire difficile de son club favori et la compare à leur amitié, comme s'il pressentait que ce qui lui arrive risquait d'entraîner le déclin de leur relation commune... Les autres, Fernando en particulier, rejettent cette comparaison, un peu absurde à leurs yeux, mais on comprend qu'ils puissent s'en souvenir plus tard, à la lumière des événements...
Mais, c'est surtout leur vision du foot qui est intéressante. Une vision de supporteur, de fan que le foot fait rêver, avec candeur, avec foi en leurs couleurs, avec passion. Pas celle d'un investisseur, d'un actionnaire, de quelqu'un voulant faire des affaires à travers le foot... On se dit que, si le Singe a acheté les parts de Pittilanga, c'est pour effacer son échec personnel, en se projetant dans la carrière d'un joueur qui réussira dans la carrière pour lui...
Quand Fernando, le Russe et Mauricio récupèrent le dossier, c'est face à ce foot business, sans foi ni loi, si ce n'est celle de l'argent, qu'ils vont se heurter. Leur passion ne pèse pas lourd face à ça. Sacheri, fan de foot (et qui a dû mettre pas mal de lui dans ses personnages, en particulier Fernando, né à Castelar, prof et amateur de ballon rond, comme l'auteur), s'amuse à dénoncer les dérives dans lequel le foot argentin se débat avec une grande acuité...
Il met le doigt à plusieurs reprises là où ça fait mal et tourne volontiers en dérision ces pratiques, utilisant la quête des amis d'un acheteur pour Pittilanga pour montrer les dérives, le cynisme de ce monde, de tous les côtés, d'ailleurs, mais mettant aussi en évidence le miroir aux alouettes que peut représenter le football professionnel et ses carrières extraordinaires pour la plupart des enfants du pays qui se rêvent en future star du ballon rond...
Je m'arrête là, en vous disant que l'histoire d'amitié qui est au coeur de ce roman vaut vraiment son pesant d'or, tout comme son dénouement. L'écriture toujours légère de Sacheri fait qu'on tourne les pages de ce livre comme s'envolent ces fameux petits papiers du titre. Pour ceux qui ne connaissent pas ces papelitos, pour utiliser le mot espagnol, n'ont rien à voir avec les paroles de la chanson écrite par Gainsbourg pour Régine.
Non, ces papelitos, ce sont les gros confettis que les supporteurs, particulièrement argentins, lancent en abondance dans les stades lors des matches. Et les pages du livre ne sont pas les seules qu'on peut comparer à ces papelitos... Les vies de nos quatre personnages principaux sont aussi comme ces morceaux de papier lancés pour saluer les joueurs de son équipe favorite... Le vent, c'est le destin, qui les rapproche comme il peut les éloigner les uns des autres. Provisoirement ou pour toujours...