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Il y a des œuvres qui changent des choses, d’autres qui ouvrent les portes en grand. Parfois, elles les referment derrière elles, laissant alors un goût amer, une frustration. L’épopée du Sandman, entreprise par Neil Gaiman en 1989, n’en fait pas partie. Pour la simple et bonne raison qu’elle est à la fois achevée et en mouvement. Présentations.
Le Sandman est une série de comics d’horreur-fantastique (par DC comics) qui s’étend sur 76 numéros mensuels. Le tout écrit par un maître romancier très peu connu en Occident : Neil Gaiman. L’histoire met en scène le maître des rêves, qui porte bien d’autres noms (Morpheus, Sandman, Kai’ckul, etc…). Il n’est ni humain, ni Dieu. Il fait partie de la grande famille des « Eternels » en compagnie d’autres notions comme la Mort, le Désir, etc… Au nombre de sept, ces « Eternels » font tourner le Monde. Ils sont par définition immortels, au contraire des Dieux, qu’ils surpassent dans tous les domaines. L’histoire initiale démarre à Londres, en 1916, lorsque le leader d’une secte occulte se livre à des incantations sataniques pour capturer un démon et lui soutirer la vie éternelle. Le Sandman est capturé par le sort et reste emprisonné, sans bouger ni parler, jusqu’en 1988, où il parvient à se libérer. Il doit alors retrouvrer ses pouvoirs, puis reconquérir le royaume des rêves qu’il a quitté pendant trop longtemps, et qui a beaucoup bougé en son absence.
Il ne fait aucun doute que sur les 76 numéros, l’intrigue a évolué dans un sens insoupçonnable. L’ampleur et la complexité du monde mis en place par Gaiman est d’une intensité rare, que ce soit dans le monde du comics ou ailleurs. Les clins d’œil à d’autres séries de l’univers DC sont légion, et participe à la richesse du récit. Pour autant, c’est une des rares série de DC qui est totalement indépendante. C’est à dire qu’elle n’influence aucun autre monde de l’univers (Batman, Superman, etc…) et inversement. Publiée sous le label Vertigo, une filiale de DC, qui favorise les écrits indépendants, sa longévité est assez exceptionnelle, puisque Gaiman lui même confessait il y a quelques années qu’il avait conçu son intrigue en se basant sur le fait que Sandman s’arrêterait après dix numéros. Aujourd’hui, seules des séries comme Fables ou Walking Dead peuvent se targuer d’avoir duré plus longtemps.
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Aux Etats-Unis, pour tout amateur de comics, Sandman est une série culte qu’il faut avoir lue. L’œuvre de Neil Gaiman a changé bien des choses dans ce petit monde des super-héros. Outre l’accès à un public plus adulte encore, qui parfois méprisait cet art « réservé aux enfants », Sandman a aussi fait bouger à sa manière le monde de la littérature dans son ensemble. Les récompenses reçues par Gaiman à l’époque furent légions. En effet, avec pas moins de dix Will Eisner (qui sont l’équivalent des Oscars pour la bande-dessinée américaine), le Sandman a marqué son époque. L’exemple le plus frappant est sans doute celui du « Songe d’une nuit d’été ». Cet épisode, publié en 1991, a reçu pour la première et dernière fois dans le monde des comics, un titre récompensant la meilleure nouvelle de l’année (Le prix World Fantasy). Les auteurs « classiques » de nouvelles furent tellement choquées, qu’on changea le règlement du concours pour que cela ne puisse plus se reproduire. Un comics avait battu la noble écriture.
Les arcs narratifs et les différents épisodes ne suivent pas une linéarité pure, puisque, selon les thèmes abordés, l’épisode peut très bien prendre place dans une époque très éloignée et ne pas du tout faire avancer l’intrigue principale. C’est ce qui rend si particulier la narration du Sandman, mais qui en fait aussi la saveur exquise qui pousse à tourner les pages sans s’arrêter. Malheureusement, pour entamer une telle lecture ici en France, il faut s’armer de patience. Pour se procurer les différents volumes du Sandman, il vous faudra soit être bilingue (ou presque car la langue utilisée est très riche), ou attendre que les mois passent et que Urban Comics (encore eux) finissent de publier la série qui comprendra sept (magnifiques) volumes, dont trois sont déjà sortis.
L’onirisme, la philosophie, le mystère, sont les termes les plus appropriés à définir cette œuvre de fiction sans nulle autre pareille. Neil Gaiman n’a pas révolutionné le monde des comics, qui a continué sans dévier de son chemin. Il a simplement ouvert une grande porte sur un territoire qu’il est le seul à avoir foulé.
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(A noter qu’actuellement, pour l’anniversaire des 25 ans de la série, Neil Gaiman publie une mini-série de six épisodes sur les origines de Morpheus.)
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