Ernst Jünger : Premier et second journaux parisiens (1941-1945)

Par Mpbernet

La critique de Claude :

La récente sortie d’une grande biographie de Jünger, par le Professeur français Julien Hervier, va relancer l’intérêt pour cet intellectuel allemand, mort à 102 ans en 1998.

Son Journal parisien, qui va du 18 février 1941 au 13 août 1944, nous offre une vue «  de l’intérieur du monstre », c’est à dire de l’appareil allemand, force obscure qui exige son dû de sang et de sacrifices.
Que fait-il à Paris ?

Il prend du bon temps, multipliant les déjeuners a la Brasserie lorraine, chez Drouant, chez Lasserre, après quoi il ne rentre à son bureau de l’Hotel Majestic (Haut Etat-major) qu’après de longues promenades en compagnie de ravissantes et spirituelles compagnes françaises. Le soir, il est souvent invité par le général en chef pour discuter philosophie, métaphysique, géopolitique, botanique ou entomologie (car telle est la diversité de ses intérêts)

Au fil des années, l’aviation alliée attaquera chaque soir un peu plus les industries de guerre  parisiennes , et, du toit de l’Hôtel Raphaël,  il la regardera en esthète, parfois une coupe de Champagne à la main.

Il rencontre aussi, presque chaque jour Cocteau,  Jean Marais, Léautaud, Jouhandeau, Guitry, et Abel Bonnard, peu recommandable ministre de Vichy, avec lequel il semble partager des idées.

Ce capitaine allemand confie à son journal des messages expliquant pourquoi Hitler et ses « lémuriens » (en gros, les Nazis) vont dans le mur ; il décrit les groupes mobiles qui massacrent sur le front de l’Est, et, une fois au moins, les camps de concentration et d’extermination.

Pourquoi, dans un pareil régime policier, ses carnets ne sont-ils pas visités, saisis, et utilisés comme preuves pour un procès qui lui serait mortel ?

Parce qu’il est un héros de la Première guerre mondiale (9 blessures, Croix Pour le Mérite) ? Parce qu’il est protégé par le Haut Etat-Major ? Quelle est sa vraie position ?

Certes il souffre, comme en attestent ses rêves noirs et brouillés, ou ses maladies ; durant l’hiver 42-43 il se fait envoyer en mission d’observation en Russie, tout près de Stalingrad. Il éprouve une légitime compassion pour ses camarades sacrifiés. Certes il est choqué par l ‘étoile jaune qu’il voit dans les rues de Paris, mais il l’est tout autant par les destructions des bombardements dans l’Ouest de l’Allemagne. Pire : l’antisémitisme affleure parfois (ainsi le 9 décembre 1943, dans une observation sur le caractère « peu juif » de l’historien Flavius Josèphe).

Donc un témoin au cœur de l’événement, mais dont il faut souligner l’ambigüité.

Ernst Jünger, premier et second journaux parisiens, traduit de l'allemend par Frédéric de Towarnicki et Henri Plard, en poche chez Christian Bourgois, 775 p., 12 €