Le vert tendre renaît du bois dur comme une chair d’enfant. Plus aigu, le vert germe des labours, de ce grand sommeil sombre qui enveloppait le paysage. Le vert ferme et dru pointe du noir terreau des jardins humides. Ainsi qu’une verve, tout ce vert monte jusqu’à nous pour nous rappeler le travail infatigable de la vie : rien de ce qui est caché ne manquera de venir au grand jour.
Le brillant des arbres et des prés, comme lustré, purifié par les nuits froides, qui maintenant s’étend au relief, libère et rayonne une lumière de la terre, en réponse à la lumière céleste qui croît de jour en jour. Un cri, un rire, une jubilation, de toutes ses pointes dardées, de ses étincelles vives, perce l’épaisse toile de jute du long hiver, le sac de pénitence, la tramé usée du vieil habit qu’on peut maintenant rejeter, comme le manteau de l’aveugle sur le bord de la route, qui bondit avant même que s’ouvrent ses yeux.
Les pluies longues et mornes ont transformé en sève le noir de la terre. Sur les talus, un feu s’allume et se propage. Tout brûle de ce qui n’a fait que passer : l’attente anxieuse, la rude épreuve, les peaux mortes, les vieux rameaux, les ombres grises d’un hiver qui pourrait encore s’attarder dans les replis sombres de nos cœurs, aux rives d’un regard mal éveillé qui se laisse emporter par la déferlante des nuages froids.
La mort vaincue, par endroits, colle à la peau des mues trop lentes. Mais aux vieux cordages des branches noueuses.
à la place des nœuds, poussent des voiles nombreuses, qu’un vent tiède gonfle vers un horizon qui s’étoffe, lui aussi devenu vert. Tout monte, tout foisonne, tout s’étire et s'élance. Tout vibre.
Et ce vert à l’unisson n’est aujourd’hui qu’une voix en sa clameur la plus vaste, dans une levée unanime d’étendards, de lances, de feuilles, une acclamation que soutient la note bleue d’un grand ciel immobile.
Le soleil passe une main sur la verdure partout dressée, qui pousse ses antennes vers des cieux tout à coup plus distants dans leur lumière trop vive. Les airs eux-mêmes respirent et aspirent tout ce vert qui change la face de la terre et fait du monde un éternel commencement, dans la vigueur et la fraîcheur d’un premier matin.
L’herbe fine, en bataillons serrés, remonte les pentes délaissées, jour après jour, d’instant en instant, occupant tous les étages, dressant une pointe ultime sur les crêtes effilées comme des lames. De la cime des arbres une pluie descend en rondes gouttelettes, une neige soyeuse, une constellation qui explose et retombe en étincelles. Un visage se reforme entre les os, une chair, un sourire, le teint de la vie, le vert de la terre comme le rose aux joues. La montagne s’élève d’un chant, s’embrase d’une espérance parvenue à son terme, dans la tendresse d’un visage au sourire ruisselant de jeunes rayons.
Ce vert lumineux, intense, qui perce partout, nous redit cette force invincible des germinations, cette force même de la joie qui toujours nous devance, que rien ne peut arrêter, qui vient à travers nos épaisseurs les plus noires aussi sûrement que le jour après la nuit. N’est-ce pas une aurore, l’éclat de tout ce vert élancé, si fragile et si ferme à la fois, si tendre, si décidé ? Saurons- nous le laisser ranimer notre cœur, envahir notre chair, la recouvrir elle aussi de cette peau nouvelle, ce frémissement de vie, cette clarté spacieuse ?
Philippe Mac Leod
(source : La Vie)