L’histoire des enregistrements de conversations privées à l’Élysée aura eu au
moins un mérite : celui de renvoyer Patrick Buisson là d’où il n’aurait jamais dû sortir, aux oubliettes de la vie politique.
Cette surenchère de déballages est d’autant plus malsaine que pour moi, il n’y a qu’une seule vraiment grave
affaire d’État à ce jour, c’est le fait qu’il y a 5,598 millions de personnes en France (hors outremer) qui recherchent un emploi au 31 janvier
2014 (statistiques officielles de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques du Ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue
social), soit une augmentation de près de 6% par rapport au 31 janvier 2013, et il me semble qu’après deux ans d’exercice du pouvoir, la responsabilité en incombe prioritairement au gouvernement actuel.
Cela dit, je souhaite évoquer ce qu’on appelle "l’affaire Buisson" sortie par "Le Canard enchaîné" le 4 mars 2014 après une première annonce par "Le Point" quelques jours avant.
De quoi s’agit-il ? D’un conseiller politique très influent (et très coûteux) de Nicolas Sarkozy, lorsque ce dernier était à l’Élysée, qui
enregistrait toutes les conversations à l’insu des protagonistes. Et d’une fuite, involontaire apparemment, de ces enregistrements vers des médias.
Le conseiller n’est pas n’importe qui puisqu’il s’agit de Patrick Buisson (63 ans), un passionné d’histoire
(il est le directeur général de la chaîne "Histoire" depuis 2007), un fin analyste politique (il avait prédit la victoire du non au référendum européen du 29 mai 2005, ce qui avait "séduit"
Nicolas Sarkozy), un spécialiste des sondages, mais aussi, avant tout, un militant d’extrême droite dont le but était d’insuffler les idées du Front national à l’UMP, ce qui a probablement précipité la chute de Nicolas Sarkozy au second tour de l’élection
présidentielle du 6 mai 2012 en perdant les plusieurs centaines de milliers de voix provenant de personnes révoltées par les options sécuritaires et droitières du Président candidat devenues par nécessité électeurs de François Hollande (à l’instar de
François Bayrou).
Élevé dans le culte de Charles Maurras, directeur du journal "Minute" puis directeur du magazine "Le
Crapouillot", tous les deux d’extrême droite, Patrick Buisson s’était tourné au milieu des années 1990 vers des prestations de consultant politique jusqu’à très récemment puisque Jean-François Copé avait souhaité bénéficier de ses services après l’élection présidentielle de 2012.
Je ne disserterai pas sur la méthode ni sur le contenu des enregistrements. A priori, ils n’étaient pas
destinés à être rendus publics et pouvaient servir de matière première pour l’écriture d’un livre documenté sur l’histoire du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Et tout comme les photographies
privées, ces enregistrements, qui n’auraient pas dû être réalisés, qui n’auraient pas dû être dérobés, ne devraient pas non plus être diffusés. Le lundi 10 mars 2014 à 14 heures, un juge parisien
examinera d’ailleurs le bien-fondé de la plainte en référé du couple Sarkozy sur l’atteinte à leur vie privée.
Rappelons que Jacques Attali, conseiller spécial à l’Élysée pendant une dizaine d’années, avait profité de sa
position pour écrire de nombreuses anecdotes dans "Verbatim" qui avait très désagréablement surpris le Président François Mitterrand et son entourage en 1993. Le ministre Alain Peyrefitte avait également utilisé les notes de ses nombreuses conversations en tête à tête avec le Général De Gaulle pour rédiger deux tomes d’anecdotes "C’était De Gaulle" (publiés en 1994 et 2000, bien après la mort de De Gaulle,
et qu’il est donc impossible de confirmer ou d’infirmer). Même le Président Vincent Auriol a rédigé à partir de ses notes un journal du septennat (le sien, publié en 1970 après sa mort), texte
dont un extrait était d’ailleurs dans une épreuve d’histoire au baccalauréat.
Je n’épiloguerai pas non plus sur le service après-vente des hiérarques du parti socialiste qui voudraient
instrumentaliser cette affaire pour charger Nicolas Sarkozy sur du simple déclaratif (savent-ils qu’il a été battu il y a deux ans ?) en oubliant l’affaire Cahuzac, ou encore en ignorant les révélations sans lendemain et pourtant fracassantes de l’ancienne ministre Delphine Batho (des révélations qui allaient très loin dans le conflit d’intérêt au centre du pouvoir socialiste), et
qui, bien sûr, se croient exonérés de se soucier de la situation économique et sociale désastreuse de la France.
Ce qui est d’ailleurs assez curieux, c’est que cette affaire a démarré un peu de la même manière que
l’affaire Bettencourt, à savoir par des enregistrements illicites de conversations privées et par un conflit familial, pour l’une, la fille contre la mère, pour l’autre, semble-t-il, le fils
contre le père.
C’est sans doute croustillant. Toutes ces conversations en plein cœur de l’Élysée, débridées, franches, ne
peuvent qu’être croustillantes mais aussi anecdotiques. La masse des enregistrements est telle que trop d’information tue l’information, un peu comme si les journaux allaient se régaler à en
faire une série à épisodes, pour soutenir leur audience jusqu’à la nausée. Rappelez-vous Wikileaks : la somme des télégrammes diplomatiques, vous allez vous ce que vous allez voir, et puis,
finalement, tempête dans un verre d’eau. C’est d’ailleurs fréquent que cette affaire Buisson se nomme dans certains médias "Sarkoleaks". J’aurais plutôt imaginer "Buissonleaks" ou encore
"Buissongate".
Car faudrait-il, comme des voyeurs de l’Élysée, écouter le contenu de tous les enregistrements qui seront
diffusés ? Les paroles à peine audibles qui y sont prononcées sont-elles paroles d’Évangile ? Disent-elles la vérité ? Sont-elles si franches que ça ? Seuls, les actes
comptent.
Seules, les décisions comptent. Nicolas Sarkozy en a pris des milliers. Elles sont visibles, connues de tous,
on peut les discuter, on peut les soutenir ou les contester, mais seules, les décisions publiques comptent. Le reste n’est qu’impression, spéculation, interprétation, opinion et n’a pas beaucoup
d’intérêt si ce n’est pour les historiens, pour mieux comprendre le quinquennat de Nicolas Sarkozy. J’ai aussi l’impression de me retrouver avant 2012, comme si l’élection n’avait pas encore eu
lieu, comme si Nicolas Sarkozy était encore l’homme à abattre : non, il a été "abattu", il a perdu, François Hollande a été élu, et on en voit d’ailleurs les premiers résultats (ou non
résultats) sur le déficit public et l’emploi...
Toutes ces informations n’ont donc aucun intérêt politique, seulement, je le répète soit historique, soit
anecdotique : c’est finalement assez commun à l’âme humaine, l’hypocrisie, la lâcheté, la flagornerie. C’est très répandu. Si l’on enregistrait la conversation (libre) d’un salarié dans son
milieu familial, nul doute que son supérieur hiérarchique, son employeur ou encore un collègue ou un client avaleraient leur salive de travers, seraient choqués par ce qu’ils entendraient. Ce
double langage n’est pas droit, pas heureux, pas moral, mais somme toute, très ordinaire, très fréquent, allant de la simple politesse à la haute trahison.
C’est d’ailleurs la trahison dont parlent essentiellement ceux qui ont côtoyé pendant cinq ans cet obscur
conseiller Buisson. Ou ceux qui sont sujets de ses conversations.
C’est là le sujet intéressant, là l’élément à noter. Cette affaire des enregistrements vient mettre à jour, à
nu, l’homme Patrick Buisson, et je ne peux que me réjouir qu’il soit ainsi dénoncé par la plupart des responsables de l’UMP, ses principales victimes.
Je regrette bien sûr que cette dénonciation unanime soit venue de ses seules méthodes (que certaines disent
typiques de l’extrême droite), du fait qu’il a enregistré des discussions privées, du fait qu’il a montré une grande hypocrisie vis-à-vis de Nicolas Sarkozy, une flatterie courtisane devant lui,
une critique méprisante dans son dos.
J’aurais préféré que Patrick Buisson fût dénoncé par les responsables de l’UMP dès le début du quinquennat
pour ses idées extrémistes, pour sa propension à vouloir inoculer le germe de la peur sécuritaire dans
une société déjà très fragile où la cohésion sociale est en équilibre métastable, pour ses activités très lucratives qui ont coûté cher aux deniers de l’État, et donc, aux contribuables
(plusieurs millions d’euros selon certains journaux).
Patrick Buisson considérait Nicolas Sarkozy plus giscardien que gaulliste, mais lui n’était pas gaulliste (il était du côté de l’OAS). Lui se revendique monarchiste !
Antirépublicain ! Nostalgique des Camelots du roi ! Au cœur même de la République ! On comprend pourquoi le discours de Grenoble a été prononcé avec une telle philosophie politique. On comprend pourquoi un Ministère de l’Identité
nationale et de l’Immigration a été créé au grand dam de Simone Veil (heureusement supprimé quelques
années plus tard). Et si Patrick Buisson a eu de l’influence, heureusement qu’elle ne fut pas la seule sur le Président de la République. Il me semble d’ailleurs que le plus meurtri
psychologiquement par cette affaire serait Henri Guaino.
Par conséquent, s’il y a bien une chose qui me réjouit en tant que républicain dans cette affaire, c’est que
l’hypothèque Buisson est levée. Patrick Buisson est à jamais consumé dans ses fonctions de conseiller politique. L’UMP aura donc une chance supplémentaire de se relever de toutes ses divisions en
ne cherchant définitivement plus à courir idéologiquement après le FN. C’est déjà ça. Il faut le saluer. Dommage que le réveil soit si
tardif.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (8 mars
2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le syndrome bleu marine.
Nicolas Sarkozy.
Stigmatisation.
Lepénisation
socialiste.
Ce que
prévoit le FN.
Discours de Grenoble.
Jean-François Copé.
François Fillon.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-debuissonisation-de-nicolas-149025