En réponse au document "Le loup, 10 vérités à rétablir, la fin annoncée de l’élevage des moutons et une menace pour tous les animaux élevés en plein air", la Buvette vous propose les réactions croisées(1) de Pierre Rigaux (PR), Gérard Bozzolo (GB), Marc Laffont (ML) et Baudouin de Menten (BdM).
8ème "vérité"
"Oui, l’élevage de plein air est nécessaire pour les paysages et la biodiversité"
PR : Non, le modèle actuel de pastoralisme n’est pas nécessairement bon pour la biodiversité et pour le paysage. Les très grands troupeaux mal dirigés entraînent d’une part l’appauvrissement de la flore et la dégradation des milieux dans les zones surpâturées, et d’autre part des zones délaissées s’embrouissaillent. L’image du pastoralisme forcément « bon pour la montagne » ou “bon pour la nature” est un mythe.
BdM : Nécessaire pour les paysages... Le paysage n’est pas figé, la nature évolue en fonction de la densité de population, de l’exode rural, des filières agricoles et forestières, des besoins en sols pour l’habitat ou l’industrie.
L’homme a tendance à s’accrocher aux paysages de son enfance (le bon vieux temps) et cherche à figer la nature dans ce stade idéalisé. Il faut donc, au choix, en fonction de ses souvenirs d’enfance, reboiser les coupes ou luter contre “l’ensauvagement”et "ouvrir le paysage". La Nature se débrouillerait bien sans nous, les paysages changeraient, certes, mais resteraient des paysages variés et intéressants.
Nécessaire pour la biodiversité... La biodiversité comprend les espèces domestiques et les variétés agricoles. La diminution des espèces animales et végétales utilisées dans l’agriculture est continue depuis des décénies. Des centaines de variétés céréalières ou légumineuses ou d’espèces animales ont été abandonnées et perdues par les agriculteurs et les éleveurs qui se sont reportés sur les espèces les plus intéressantes économiquement parlant, à court terme. L’agriculture est en partie responsable d’une énorme perte de biodiversité.
Aujourd’hui, le consommateur rêve de revenir à une alimentation gouteuse et variée, aux légumes oubliés. Vu l’intérêt économique, les checheurs créent maintenant des légumes nouveaux, ressemblant aux légumes oubliés, qui poussent rapidement et facilement, mais sans goût. Toujours l’appât du gain. L’homme n’apprend pas vite, pas bien.
"Des centaines de variétés céréalières ou légumineuses ou d’espèces animales ont été abandonnées et perdues par les agriculteurs et les éleveurs qui se sont reportés sur les espèces les plus intéressantes économiquement parlant, à court terme."
La perte de quelques milliers d’ovins par an ne fera pas disparaître les espèces liées aux milieux ouverts et ne fera pas disparaître ceux-çi. Le renouveau de la filière bois dans la construction, le remplacement des carburants fossiles pour le chauffage des habitations par des sous-produits du bois (pelets) pourraient bien dans les années à venir, au même titre que les instructions visant à mieux “exploiter” la forêt à la manière d’une mine, inverser la tendance du retour de la forêt. Les paysages évoluent, pas l’idée que certains s’en font dans le monde rural…
Les prédateurs aussi sont indispensables à la biodiversité, aux écosystèmes. Une étude publiée le 9 janvier dans la revue scientifique Science
met en évidence le caractère essentiel que jouent les grands prédateurs sur l’équilibre des écosystèmes.
Les résultats ont montré les effets en cascade qui résultent de la disparition des carnivores de leurs biotopes naturels. Le retour du loup dans le Yellowstone a également montré comment “les loups changent les rivières”. Il est vraiment fascinant de constater ou de découvrir le rôle primordial d'un prédateur comme le loup, que l'homme n'a guère réussi à remplacer, au contraire (voir la surpopulation des ongulés sauvages en France), et qui a non seulement une répercussion sur tout le restant du réseau trophique, mais également sur le caractère géographique et physique du lieu de manière durable.
ML : Le mouton, issu de la domestication du mouflon au Proche et Moyen Orient n'appartient pas à la faune autochtone européenne, même en Corse. Aucune espèce vivant en Europe ne doit sa présence à celle du mouton : elles étaient toutes là avant lui.
En revanche, l'agro-pastoralisme a fait disparaître ou fortement régresser quantités d'espèces qui avaient toute leur place dans nos écosystèmes : les grands herbivores concurrents des troupeaux domestiques, les grands prédateurs susceptibles de les attaquer...
La France du troisième millénaire demeure ce beau pays où :
- les chasseurs croient que le gibier n'existerait pas sans eux,
- les forestiers croient que la forêt n'existerait pas sans leur gestion,
- les agriculteurs croient que les paysages n'existeraient pas sans leur impact.
La vanité de toutes ces affirmations a largement été démentie par les faits, mais les politiques demeurent beaucoup plus attentifs aux revendications des lobbies de nuisance qu'aux démonstrations des scientifiques...
(1) Pierre Rigaux est naturaliste dans les Alpes-du-Sud ;
Gérard Bozzolo est retraité, Ingénieur Agronome, ex-maître de conférences à l'Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse ;
Marc Laffont est Technicien en agriculture et environnement, il dispose d'une maîtrise en Ecologie ;
Baudouin de Menten, écoconseiller est le webmaster de la Buvette des Alpages.
Retour aux réponses au document "Le loup, 10 vérités à rétablir, la fin annoncée de l’élevage des moutons et une menace pour tous les animaux élevés en plein air"