Ciné - Ida

Par Plumesolidaire

♥♥♥♥♥♥   des comme ça y en a qu'un par siècle

      bof 

♥♥   ah ouais quand même (bien)

♥♥♥   top (très bien)

♥♥♥♥♥   pire que top (trop rare)

♥♥♥♥♥♥   des comme ça y en a qu'un par siècle

Source : Télérama

« En somme, tu es une nonne juive »... Anna regarde, interloquée, cette parente inconnue que la supérieure de son couvent lui a demandé de rencontrer avant de prononcer ses voeux. Elle est pure comme une héroïne de Robert Bresson, la petite Anna, ses yeux semblent rappeler à chacun une innocence perdue. Quand elle sourit, trois fossettes se forment au coin de sa bouche. Le jeune joueur de saxo qu'elle rencontrera plus tard le lui dira : « Tu ne sais pas l'effet que tu produis »... Elle fait face à cette tante jamais vue, étrangère, une de ces femmes dont on devine, en un instant, la lassitude et le mépris de soi qui suscitent forcément la haine des autres. Doucement, presque tendrement, Wanda révèle la vérité : Anna ne s'appelle pas Anna, mais Ida. Elle est la fille de juifs disparus durant la guerre. Dénoncés. Tués. Depuis longtemps oubliés. « Où sont-ils enterrés ? » demande Ida. Nulle part. Comment ça, nulle part ?

C'est presque un polar classique, avec enquêteur expérimenté et débutant candide. Les enquêtes, Wanda connaît. Elle était procureur de la République dans le Parti communiste polonais des années 1950, et on la surnommait « Wanda la Rouge » quand elle condamnait, par paquets, des sociaux-traîtres au nom d'un idéal depuis longtemps perdu, aussi dangereux à ses yeux, désormais, que la foi inébranlable, irrationnelle qu'elle lit sur le visage de sa nièce. Alors, l'une pour découvrir ce qu'elle est, l'autre pour oublier ce qu'elle a été, Ida et Wanda entreprennent un périple dans la Pologne grise et gelée des sixties, où les jeunes gens, qui ressemblent aux ados de Milos Forman dans Les Amours d'une blonde, s'ennuient dans des hôtels tristes aux sons de tubes yéyé. Où les vieux, seuls, s'amusent comme pour mieux s'étourdir... Au bout de leur quête, l'effroi les guette : car c'est l'amnésie volontaire du pays qu'elles révèlent. L'horreur niée, jamais expiée, le mal accompli par tant de médiocres, pour des motifs parfois vils et désespérants : s'approprier une maison, un terrain... Comment vivre après cette découverte ? Comment croire en Dieu ? Pire encore : comment croire en l'homme ?...

C'est un film aux immenses espaces vides. La lumière qui l'irradie semble écraser des personnages que Pawel Pawlikowski filme souvent au bord du cadre, comme isolés ou apeurés. Ces plans fixes en noir et blanc, entêtants, beaux, presque esthétisants, suscitent le trouble et le mystère. Le film change, passe constamment du secret à la vé­rité, de l'ombre à la clarté, des refrains délicieusement superficiels(Love in Portofino, 24 000 Baisers, Guarda che luna) au jazz de John Coltrane, qui fait entrevoir à Ida la beauté et la mélancolie de la vie.

Pawel Pawlikowski est un cinéaste de l'absolu. Ses personnages s'y plient ou en meurent. Dans son film précédent, le superbe et méconnu La Femme du Ve, le héros (Ethan Hawke) acceptait, après un long parcours dans un Paris métamorphosé en ville cauchemardesque, de sacrifier sa vie à son art. Il plongeait dans son destin... Ida, elle, tente de résister : elle ôte son voile, libère ses cheveux, emprunte la robe et les souliers noirs de sa tante, suit le beau saxophoniste qui lui a fait entrevoir le monde. Il lui propose de partir avec lui. Elle sourit : « Et après ? »... « Après, on achètera un chien et une maison ! Et on aura des enfants. » Oui, mais après ?... « Après, on aura des problèmes, comme tout le monde ! »...

Ida marche sur une route. La voilà en route. Elle a vu la médiocrité du monde. Elle croit toujours à un possible au-delà. Un prélude de Bach l'accompagne, celui-là même qu'avait utilisé Andreï Tarkovski dans Le Miroir. Et c'est bien ce que filme Pawel Pawlikowski, en définitive : nos reflets dans une glace. — Pierre Murat