Note : 3/5
Diplomate contre militaire, tel est le conflit que met en place le film de Schlöndorff, déjà porteur dans son titre de l’annonce du "vainqueur" du débat. Diplomatie : un titre qui énonce clairement une certaine évolution de la représentation cinématographique de l’épisode de la libération de Paris. Paris brûle-t-il ?, de René Clément (1966), abordait le sujet dans sa dimension collective et représentait la libération de Paris comme la réussite d’un ensemble. Diplomatie approche l’Histoire par son horizon intime, en se concentrant sur la personnalité de deux individus, le Général Von Choltitz (Niels Arestrup), Gouverneur du Grand Paris en août 1944, et Nordling (André Dussolier), le consul de Suède, alors pays neutre.
© Gaumont Distribution
La confrontation entre les deux hommes, dans la nuit du 24 au 25 août, a pour objet la destruction de Paris, dont les ponts et bâtiments principaux ont été minés sur ordre d’Hitler, alors que les troupes alliées approchent de la capitale, sonnant le glas de l’occupation allemande. Cette approche intimiste de l’épisode historique s’accompagne d’une relecture très romancée : les tractations entre les deux hommes se sont en fait étalées sur plusieurs jours et toujours en présence d’un traducteur (Choltitz ne parlait pas français) ; l’anéantissement de Paris tel qu’il est décrit dans le film n’aurait pas été aussi important ; la contribution de Nordling à la préservation de Paris efface un peu, dans le film, les nombreux appuis dont il a bénéficié – ce qui s’explique (et se justifie) pleinement par la concentration du film sur les personnalités des deux protagonistes, loin du tableau d’ensemble donc. Ces libertés prises avec l’Histoire ne sont en aucun cas dommageables : à l’heure où les biopics sont à la mode et se targuent d’être exclusivement inspirés de faits réels, révélant une peur de l’invention presque pathologique, on apprécie ce retour à la romance, pour le coup assez téméraire.
Adapté de la pièce éponyme de Cyril Gély, co-scénariste du film avec Schlöndorff, le récit passe habilement la rampe. Les scénaristes conservent le modèle de la joute verbale en (quasi) huis-clos, maintiennent le jeu des faux-semblants et incorporent – cinéma oblige – des vues de Paris et des combats, heureusement limitées à la toile de fond : l’avenir se joue entre les murs de la chambre de l’hôtel Meurice, dans le débat, pragmatique et moral, qui anime les deux hommes. L’adaptation narrative est particulièrement réussie : Schlöndorff et Gély ménagent des temps d’arrêt et de reprise dans la conversation souvent très dense et parfois répétitive. Ces aérations bienvenues contribuent à construire une structure en compte-à-rebours efficace, manifestée par le lever progressif du soleil sur Paris – l’occasion pour Schlöndorff de faire évoluer sa lumière, toujours magnifique – au point d’instaurer un suspense assez haletant alors même que nous connaissons l’issue de la conversation.
On ne s’ennuie donc pas une seconde, ce qui tient autant à cette habile gestion du rythme qu’aux comédiens, dont il serait difficile de ne pas parler tant le plaisir du film réside dans la confrontation de deux acteurs au sommet. André Dussolier est parfait en diplomate faussement aimable, excellent rhétoricien qui manie les mots comme les résistants manient les armes. Face à lui, Niels Arestrup, tout juste auréolé de son quatrième César du meilleur second rôle, est magistral en militaire droit dans ses bottes, implacable chef de guerre soucieux de faire son devoir mais tenu par le chantage. La rencontre entre les deux acteurs sert parfaitement le film, l’élégante distinction de Dussolier se heurtant à la rigidité inamovible d’Arestrup.
© Gaumont Distribution
Malheureusement, le film ne peut pas s’en tenir là et passe à côté de la réussite. C’est que Schlöndorff n’a pas le talent d’un Polanski qui, avec sa récente Vénus à la fourrure, nous prouvait une fois de plus sa maîtrise du huis-clos et de la théâtralité. Visiblement terrifié à l’idée de faire trop "théâtre", Schlöndorff s’évertue à donner à son film un crédit "cinéma", refusant le huis-clos complet (séquences sur les toits, plans vers la ville, fin en extérieurs). Le cinéaste force ainsi la dimension "cinématographique" du film, multipliant les mouvements de caméra qui, sans être trop démonstratifs, demeurent vains. Il ajoute aux temps "forts" une musique envahissante et presque insupportable, impose une alternance séquentielle peu utile entre l’hôtel et le sous-sol de l’opéra et se repose, en début et en fin de film, sur des images d’archive. On aurait attendu de ce film un jeu (c’est le cas de le dire) plus assumé sur la théâtralité doublement inhérente au sujet : adapté d’une pièce bien sûr, Diplomatie tient surtout du drame politique, ce jeu de dupes et de cabots auquel jouent les deux protagonistes, renforcé par le décor de la suite du Meurice, elle-même faite de fausses cloisons, de miroirs sans tain et de passages secrets.
Schlöndorff voudrait visiblement faire oublier l’origine théâtrale de son texte, mais la démarche est finalement contre-productive : les dialogues, très écrits, les acteurs, tout en rouerie, et les décors, extrêmement circonscrits malgré les efforts du réalisateur pour sortir de l’hôtel, ramènent toujours Diplomatie vers le théâtre, et c’est là-dessus que Schlöndorff aurait dû jouer : sur cet héritage assumé et sur le fond d’un texte qui reproduit sur scène les coulisses, fortement dramatisées, de la politique.
Finalement trop attaché à son sujet "principal" et le plus évident – un face-à-face entre deux hommes qui fit l’Histoire –, Schlöndorff échoue à faire de Diplomatie autre chose que l’illustration agréable d’un épisode historique, et le cinéaste finit même par passer à côté du sujet le plus intéressant de la pièce. Dommage pour un film qui aurait pu être bien meilleur s’il avait davantage cherché du côté de la théâtralité politique et formelle.
Alice Letoulat
Film en salles depuis le 05 mars 2014.