« Je ne suis pas fait pour être le roi à Paris, mais un grand féodal de
province. » (13 mai 1970).
C’est à 5 heures et demi du matin que Maurice Faure s’est éteint à 92 ans, dans son sommeil, comme un "bon vivant", ce jeudi 6 mars 2014 chez lui, rue des
Cadourques, à Cahors. Maurice Faure, très imposant physiquement, n’aura que quelques mots dans les actualités nationales et pourtant, ce fut un acteur important de la vie politique française. Il
a eu pourtant deux défauts majeurs : ne pas avoir d’ambition personnelle et être né à une mauvaise époque.
En effet, comme d’autres personnalités politiques, Maurice Faure a été balayé par la Ve
République.
Pas électoralement, car il y a fait une très brillante carrière d’élu radical dans le Lot : élu député
de 1951 à 1983 (dont la présidence du groupe des radicaux à l’Assemblée Nationale de 1962 à 1967 et la présidence de la commission des affaires étrangères de 1981 à 1983) puis sénateur de 1983 à
1988, maire de Prayssac de 1953 à 1965, puis maire de Cahors de 1965 à 1989, président du conseil général du Lot de 1971 à 1994 (représentant le canton de Montcuq de 1964 à 1994), vice-président
du conseil régional de Midi-Pyrénées également, on ne peut pas dire que la République l’a rejeté.
Non, ce serait plutôt lui qui a balayé la Ve République et sa logique folle de bipolarisation induite par l’élection
présidentielle au suffrage universel direct.
Car si Maurice Faure a eu une carrière politique plus que correcte, il n’a pas été l’acteur exceptionnel
qu’il aurait pu être s’il avait accepté cette logique de la bipolarisation et le corollaire, cette logique
d’ambition personnelle, qui aurait pu le porter au plus haut niveau de l’État, Matignon voire l’Élysée.
Jeune élu plein d’avenir
Né le 2 janvier 1922 en Dordogne, après une agrégation d’histoire et un doctorat en droit, Maurice Faure,
ancien résistant, est devenu très rapidement un jeune loup montant de la IVe République. Après un passage dans des cabinets ministériels (chez Yvon Delbos et Maurice Bourgès-Maunoury),
Maurice Faure s’est fait en effet élire député à l’âge de 29 ans. À partir de cet engagement, il a conquis de nombreux mandats locaux, comme je l’ai indiqué plus haut (à l’époque, il n’y avait
aucune limitation du cumul).
À l’âge de 34 ans, Maurice Faure s’est retrouvé nommé dans le gouvernement de Guy Mollet, comme Secrétaire d’État aux Affaires étrangères du 1er février 1956 au 14 mai 1958, gardant ces
responsabilités dans les gouvernements de Maurice Bourgès-Maunoury et de Félix Gaillard (lui-même à peine plus âgé que Maurice Faure, de deux ans).
Une période historique pour l’homme convaincu de la nécessité de la construction européenne : en effet, jusqu’à jeudi, il fut le dernier signataire encore vivant du Traité de Rome créant ce qui
est devenu l’Union Européenne, le 25 mars 1957, aux côtés du ministre dont il dépendait, Christian Pineau. C’est d’ailleurs à peu près le seul "fait d’armes" que les médias retiendront de lui
dans les dépêches. Il fut pour l’occasion nommé président du comité d’honneur pour le cinquantenaire du Traité de Rome en mars 2007.
Ces deux années au Quai d’Orsay furent sans doute les années
qu’il a préférées dans sa vie politique, un domaine qu’il voulait retrouver en prenant la présidence de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée Nationale après la victoire de
François Mitterrand dont il était un grand ami, indépendant, souvent écouté mais dont les conseils ont
rarement été suivis.
Le 14 mai 1958, il resta au gouvernement dirigé très furtivement par Pierre Pflimlin. Il fut pendant trois
jours (jusqu’au 17 mai 1958) Ministre de l’Intérieur puis (cédant la place à Jules Moch) jusqu’au 1er juin 1958, Ministre des Institutions européennes. Le retour de De Gaulle l’écarta du pouvoir pendant vingt-trois ans.
Un positionnement centriste impossible sous la République gaullienne
S’il se sentait à gauche, il était pourtant contre toute idée de front populaire, rejetant l’alliance avec
les communistes et espérant la formation d’une union allant du centre droit aux socialistes (tout ce qu’il y avait entre le gaullisme et le communisme, ce qu’a repris plus tard François Bayrou en parlant d’un rassemblement d’Édouard Balladur à Jacques
Delors). Une idée qui ne pouvait pas aboutir en raison de la ténacité de Guy Mollet, patron de la SFIO, et de l’ambition débordante, dévorante, de François Mitterrand, convaincu que pour
s’opposer au pouvoir gaulliste, il fallait se positionner à gauche toute.
Maurice Faure soutenait ainsi en 1964 l’idée d’une "grande fédération" rassemblant radicaux, socialistes et
démocrates-chrétiens, que souhaitaient mettre en place Gaston Defferre et Jean-Jacques Servan-Schreiber à l’occasion de l’élection présidentielle de décembre 1965. Finalement, Gaston Defferre a renoncé à se
présenter le 25 juin 1965 après l’échec de cette idée.
Le 9 septembre 1965, le même jour qu’une allocution de De Gaulle, voyant le terrain libre, François Mitterrand a donc annoncé sa propre candidature à l’élection présidentielle.
La veille, il avait obtenu l’appui du vieux rival de Guy Mollet à la SFIO, Daniel Mayer, sur le point de se présenter aussi. Et le matin même, il est allé voir Maurice Faure, à son bureau de président du
parti radical, qui était, lui aussi, sur le point de se présenter pour avoir une candidature centriste à cette élection, mais il fut lâché par Guy Mollet la veille aussi. Face à la détermination
de François Mitterrand, Maurice Faure renonça en lui lançant : « Que voulez-vous que je fasse ? Je ne vais pas me présenter avec un
programme européen sans l’appui des socialistes ! Je vais faire deux millions de voix, et je discréditerai l’idée d’Europe. Bon, allez-y, faites-le, votre front populaire ! »
(selon Michèle Cotta qui a entretenu pendant plusieurs décennies des échanges très conviviaux et
fructueux avec Maurice Faure, et dont je donnerai quelques autres éléments par la suite de l’article).
Finalement, le centre a eu un candidat avec Jean Lecanuet déclaré le 19 octobre 1965. Michèle Cotta expliquait alors : « Maurice Faure (…) aurait voulu présenter sa candidature. Mais la tâche lui a brutalement paru harassante, au-dessus de ses forces. D’autant qu’il était alors
sentimentalement occupé à Cahors (…), ce qui semble l’avoir freiné. D’un côté, il estime qu’il aurait été le meilleur candidat au centre ; de l’autre, un engagement actif et personnel dans
une campagne lui fait peur. Résultat : il est de très mauvaise humeur depuis des semaines. ».
Maurice Faure avait confié à Michèle Cotta le 13 mai 1970 la raison de sa renonciation : « Je ne suis pas fait pour être le roi à Paris, mais un grand féodal de province. Je ne suis pas un intellectuel, un penseur ; je suis un
gestionnaire. ».
Maurice Faure et Jacques Chirac
Les cahiers secrets de Michèle Cotta regorgent de richesse. En n’allant pas jusqu’au bout de sa logique politique en 1965, Maurice Faure s’est donné
une réputation de dilettante, préférant la tranquillité au pouvoir. Le 13 mai 1970, voici ce qu’il disait d’un jeune ambitieux, Jacques Chirac : « Je le regardais, l’autre jour, à la Coder [Commission de
développement économique régional de Midi-Pyrénées qu’il présidait], et je me disais : c’est tout moi il y a dix ans ! » (ils avaient justement dix ans d’écart).
Et le 26 mai 1970, après une rencontre avec Jacques Chirac, Michèle Cotta notait : « [Jacques
Chirac] raconte, drôlement, que tout son problème, dans la vie, a été de canaliser sa paresse. À la Cour des Comptes, après l’ENA, il faisait d’interminables parties de bataille navale avec son
"copain" Alain Chevalier. Au fond, la Corrèze et cette course aux suffrages, c’est un moyen (…) d’orienter son "farniente" naturel vers une agitation plus vertueuse. ». Dilettantisme
d’un côté, paresse de l’autre.
Michèle Cotta revenait à la charge le 6 février 1988 : « Maurice Faure a toujours eu pour Jacques Chirac une sorte d’admiration, sinon de sympathie. Pourquoi ? Pour des raisons totalement contradictoires, il
me semble, mais néanmoins explicables. Avant tout, il me paraît très sensible à la détermination dont Jacques Chirac a fait preuve depuis quinze ans. Normal : lui qui en a tant manqué, de
détermination, sait la reconnaître et l’apprécier à sa juste valeur chez les autres ! Et puis, c’est l’élu local qu’il respecte : sur ces terres radicales, Chirac apparaît parfois plus
radical que les radicaux. ».
Du centre vers la gauche
Maurice Faure a donc soutenu Jean Lecanuet au premier tour parce qu’il voulait un centre fort face au
gaullisme et face à un candidat soutenu par les communistes. Il a ainsi participé au meeting de Jean Lecanuet au Palais des Sports le 30 novembre 1965 qui a rassemblé bien plus de monde que
prévu. La mayonnaise Lecanuet a pris.
Le très beau score de Jean Lecanuet (15,6%) encouragea ce dernier à transformer le MRP en Centre démocrate, tandis que Maurice Faure, qui avait donc raté son rendez-vous avec l’histoire, s’est progressivement rapproché
de François Mitterrand et de la gauche socialiste jusqu’à entrer en février 1968 au bureau politique de la "petite fédération", la FGDS (Fédération de la gauche démocratique et socialiste)
regroupant la SFIO, les radicaux et quelques autres groupements mitterrandistes.
Le gaulliste démocrate-chrétien Jean Charbonnel, qui vient, lui aussi, de disparaître le 20 février 2014, racontait que Maurice Faure aurait été prêt à rejoindre
la majorité gaulliste derrière de figures progressistes comme Jacques Chaban-Delmas, mais Georges Pompidou lui avait collé en 1967, dans sa circonscription de Cahors, un candidat gaulliste de grande
qualité, lui aussi agrégé, Jean-Pierre Dannaud, un jeune "mousquetaire pompidolien" (au même titre que Jacques Chirac) qui avait promis en décembre 1966 de conquérir les citadelles de gauche au
sud de la Loire, ce qui plaça Maurice Faure mécaniquement dans l’opposition alors qu’au premier tour, le 6 mars 1967, il avait refusé le soutien de la FGDS mais son score s’était effondré. Pour
le second tour, dès le 8 mars 1967, il a finalement accepté la logique de l’union de la gauche et les communistes se sont désistés en sa faveur.
Refusant de rompre avec les centristes, à l'instar de Félix Gaillard (radical) et de Max Lejeune
(social-démocrate, dont l'héritier fut André Santini), Maurice Faure ne vota pas le 18 mai 1967 la motion de censure contre le gouvernement de Georges Pompidou qu’avaient déposée François
Mitterrand, Guy Mollet, Waldeck Rochet (communiste), René Billières (radical) et Étienne Fajon (communiste).
L’amitié entre Maurice Faure et François Mitterrand date de l’automne 1967 (le mot était rare chez François
Mitterrand) après le désaccord à l’occasion des élections législatives de 1967. L’anecdote a été racontée par les deux protagonistes de la même manière. Au cours d’une rencontre, Maurice Faure a
confié à François Mitterrand : « J’ai déc-nné, mais finalement, vous m’avez assez bien rattrapé entre les deux tours. » et François
Mitterrand de lui répondre : « Il nous est arrivé à tous de déc-nner un jour. L’important est de s’en apercevoir à temps. ».
Après la démission de De Gaulle et dans la perspective de l’élection présidentielle de 1969, Guy Mollet
voulait tout faire pour éviter une candidature unique de la gauche qui aurait fait le jeu de François Mitterrand et voulait pousser la candidature du socialiste Christian Pineau, ancien Ministre
des Affaires étrangères, qui a failli être Président du Conseil sous la IVe République et qui avait quitté l’avant-scène politique depuis 1958. Il avait l’avantage d’être très européen
et détesté par les communistes qui n’auraient jamais pu le soutenir. Gaston Defferre, lui aussi défavorable à une candidature unique, a pris cependant Guy Mollet de vitesse en annonçant sa propre
candidature le 29 avril 1969, encouragé en particulier par Maurice Faure qui voyait dans cette candidature la revanche de 1965. Gaston Defferre n’a finalement obtenu que 5,0% au premier tour le
1er juin 1969 (devant Michel Rocard mais derrière le communiste Jacques Duclos et le centriste Alain
Poher).
Plus observateur qu’acteur de la vie politique nationale, souvent très avisé, embarrassé par la présence très
imposante de Jean-Jacques Servan-Schreiber à la tête du parti radical dans les années 1970, Maurice Faure a donc pris, sans trop y croire mais par simple choix logique, le "train" de la gauche
menée par François Mitterrand jusqu’à la victoire historique du 10 mai 1981.
Il avait même tenté en vain de dissuader ses camarades du Mouvement des radicaux de gauche (MRG), en congrès
le 1er mars 1981, de présenter à l’élection présidentielle leur président : « Michel Crépeau croit sa candidature nécessaire. Ce que
je crois, c’est qu’il se trompe sur ce point précis. Je pense le contraire. ». Les quatre cinquièmes des délégués du MRG ne l’avaient pourtant pas suivi : c’était l’une des rares
fois où Maurice Faure, en général refusant le conflit, s’était opposé à une assemblée très majoritairement hostile.
Le retour furtif au pouvoir
Deux jours après sa victoire historique, François Mitterrand, le 12 mai 1981, a réuni ses proches pour penser au futur gouvernement qui ne serait que
de transition dans l’attente des élections législatives. Il souhaita la présence des radicaux de gauche et pensa naturellement à nommer Maurice Faure, vingt-trois ans après, au gouvernement. Mais
Maurice Faure (qui avait 59 ans) n’était pas vraiment d’accord : « Je ne veux pas de ministère politique ; ce serait la fin de ma
tranquillité. J’aimerais la Construction ou l’Équipement. Je ne suis pas fait pour penser. À la rigueur, un ministère technique… ». Le 23 mai 1981, Maurice Faure fut nommé par François
Mitterrand Ministre de la Justice dans le premier gouvernement de Pierre Mauroy, succédant à Alain Peyrefitte.
Au conseil des ministres du 5 juin 1981, Maurice Faure a dû se justifier auprès du Président de la République au sujet de certaines de ses actions et
de quelques nominations qu’il devait faire. Ce stress l’épuisait et le tourmentait ; il ne supportait pas l’idée, imposée par François Mitterrand, de présenter une loi d’amnistie.
Michèle Cotta remarquait ainsi : « Maurice Faure se demande s’il n’aurait pas été bien avisé de
refuser la Chancellerie et de viser la présidence de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée Nationale. Le Ministère de la Justice exige une présence constante. Il pensait qu’il
aurait encore un peu de liberté, qu’il ne serait pas obligé d’avaler dossier sur dossier, ni dérangé la nuit parce qu’un condamné s’est échappé. Comme il est consciencieux, il a du remords à
l’idée qu’il ne sera pas à la hauteur de la tâche qui l’attend, non pas sur le plan intellectuel, bien sûr, mais par son excès de scrupules. Il s’aperçoit en outre que sa vie va se trouver
désormais complètement sous contrôle, sans la moindre possibilité d’aller flâner dans la campagne lotoise ! ».
Le 23 juin 1981, à l’issue des élections législatives, Maurice Faure renonça au gouvernement et s’installa à
la présidence de la commission des affaires étrangères qu’il convoitait tant. Robert Badinter lui succéda
et devint l’homme de l’abolition de la peine de
mort.
Cette désertion ministérielle ne l’empêcha pas de continuer à voir l’entourage présidentiel, notamment André
Rousselet, le directeur de cabinet de François Mitterrand, comme cette réunion, le 30 mars 1982, pour tenter de créer un centre gauche dans le but de contrebalancer le poids des communistes, et
de lui trouver un leader, Edgar Faure étant trop vieux et Bernard Stasi étant jugé un peu trop léger pour eux (c'était avant le congrès du Centre des démocrates sociaux qui vit Pierre
Méhaignerie gagner face à Bernard Stasi pour la succession de Jean Lecanuet).
Régulièrement, François Mitterrand consultait Maurice Faure pendant ses deux septennats, soit sur la
politique extérieure, soit sur la stratégie politique à adopter face aux communistes ou à l’opposition, ou encore face à l’opinion publique, l’invitant très souvent dans ses voyages à l’étranger,
au point par exemple de continuer leur conversation seuls au Kremlin pendant une heure lors d’une visite officielle en Union Soviétique en juin 1984, ou alors en s’invitant chez lui, comme en fin
septembre 1986, quelques jours à Saint-Cirq-la-Popie, petit village du Lot aux ruelles pittoresques mais trempées par la pluie.
En décembre 1985, si Maurice Faure prédisait une défaite des socialistes aux élections législatives du 16
mars 1986, il ne croyait pas du tout à la possibilité d’une cohabitation durable entre François Mitterrand et Jacques Chirac et imaginait très rapidement une élection présidentielle anticipée.
Sur ce point, il s’était trompé et il avait même conseillé François Mitterrand d’organiser en 1986 un référendum pour instituer le quinquennat, démissionner au bout de ses cinq années de mandat et se représenter dans la foulée, jouant quitte ou double. Le
Président, bien plus maître du temps, avait au contraire toutes les raisons de laisser durer le plus longtemps les choses (d’autant plus qu’il se battait déjà contre la maladie).
Après la réélection de François Mitterrand, Michel Rocard nomma Maurice Faure le 12 mai 1988 Ministre d’État, Ministre de l’Équipement et du Logement dans son premier
gouvernement, poste qu’il confirma après les élections législatives. Mais Maurice Faure ne semblait pas très heureux de redevenir ministre. Il réussit à démissionner le 22 février 1989 grâce à
une occasion, celle d’être nommé par François Mitterrand membre du Conseil Constitutionnel pour neuf ans,
jusqu’au 1er mars 1998, ce qui fut sa dernière fonction officielle dans la République (il y retrouva Robert Badinter, Daniel Mayer et le radical Robert Fabre, l'un des artisans de
l'union de la gauche).
Quel homme étrange !
Pour finir, encore une impression que Michèle Cotta écrivait le 3 novembre 1989 au sujet de Maurice
Faure : « Quel homme étrange, ce Maurice Faure ! On pourrait croire qu’il aime les honneurs auxquels il a été habitué très jeune : or
voici qu’il a abandonné de nouveau un poste de ministre (…). Il lui a fallu un mois, en 1981, pour renoncer à diriger la Chancellerie ; il lui a suffi de moins d’un an pour laisser tomber
l’Équipement. Paresse ou simple goût de la vie ? Il est incontestablement plus heureux en Dordogne ou dans le Lot qu’à Paris. Politiquement, il est radical : ni trop à gauche, ni à
droite. Il ne se voit pas d’avenir politique, et d’ailleurs, c’est définitif : il n’en veut pas. Quel dommage ! Quelle carrière il aurait pu faire s’il avait eu la moindre
ambition ! D’un autre côté, c’est cette absence d’ambition qui le rend tel qu’il est : lucide, surtout à l’égard de lui-même, intelligent et drôle. Son humour n’est jamais
méchant : n’attendant rien des hommes et doutant de tous, il se fait à tout, accepte le pire et le meilleur avec indulgence. Une interrogation : pourquoi Mitterrand, dont il a par deux
fois abandonné le bateau, ne lui en veut-il pas ? Réponse : "Il a depuis longtemps accepté ma liberté vis-à-vis de lui. Il ne la comprend pas, mais respecte mon choix". ».
En d’autres termes, Maurice Faure n’a été qu’un leader virtuel, qui en avait la carrure mais qui n’a jamais été poussé à ses limites en raison d’une
certaine philosophie de la vie. Il aurait pu être Jean Lecanuet, jeune candidat centriste à l’élection présidentielle en 1965 ; il aurait pu être un ministre écouté de Jacques Chaban-Delmas
et pourquoi pas, Premier Ministre ; il aurait pu être Robert Badinter, l’homme de l’abolition de la peine de mort ; il aurait pu être roi de Paris, il n’a été que roitelet de province,
pour son bonheur d’hédoniste.
Maurice Faure aimait citer l’un des hommes de la IVe République, Paul Ramadier : « La politique, ce n’est ni la morale, ni la logique, c’est une dynamique irrationnelle. ». Maurice Faure aura été cet homme irrationnel qui a laissé
filer toutes les occasions de devenir un acteur majeur de la vie politique, trop soucieux de sa tranquillité. Michèle Cotta le définissait en effet (le 12 janvier 1986) comme un « analyste politique brillant lorsqu’il ne s’agit pas de sa carrière personnelle » !
Les obsèques de Maurice Faure et l’hommage solennel auront lieu le lundi 10 mars 2014 à 10 heures en la
cathédrale Saint-Étienne de Cahors. Sont notamment attendus ses deux fils, Philippe Faure, ancien ambassadeur, et Patrick Faure, ancien président de Renault Sport, ainsi que le Président de la
République François Hollande. Il sera inhumé dans l’intimité familiale à Saint-Pierre-de-Chiniac, en Dordogne.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (7 mars
2014)
http://www.rakotoarison.eu
La plupart des citations proviennent des trois tomes des "Cahiers secrets de la Ve République" de Michèle Cotta (éd. Fayard).
Pour aller plus loin :
Crise de 1958.
La famille
centriste.
Guy
Mollet.
Jean
Lecanuet.
Edgar
Faure.
François
Mitterrand.
De
Gaulle.
Georges
Pompidou.
Jacques
Chaban-Delmas.
Pierre Mauroy.
Daniel Mayer.
Alain Poher.
Michel Rocard.
Jean Charbonnel.
Jacques Chirac.
Jean-Jacques Servan-Schreiber.
Alain Peyrefitte.
Robert Badinter.
Bernard Stasi.
Les ambitieux en politique.
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/maurice-faure-radical-dilettante-148999