Béatrice Bonhomme a créé la figure du peintre dont le visage évoqué vous hante, lecteur — comme son regard poursuit ceux qui ont vu son autoportrait. Quand le peintre apprenti pose son chevalet face à l’autoportrait du peintre maître, peint-il un portrait ? Le temps qui est passé entre le maître et l’apprenti, est-il fini ou infini ? Comment le mesurer ? Faut-il se mesurer aux portraits venus de la nuit des temps,
Ce visage comme les portraits les plus anciens découverts dans le Fayoum. Posés sur les sarcophages …
… puisque ce sont les plus anciens portraits peints réalistes connus. Ces visages si véridiques, si expressifs — leurs yeux vous transpercent depuis l’au-delà. Est-ce la mort qui est ainsi convoquée ?
La chair de ces pigments fait pourtant penser au pain de la vie.
Pour dire le temps à la fois fini et infini, puis-je comparer Béatrice Bonhomme à Jouve lisant « le texte ouvert sur le plus grand horizon humain » dans « Aux dix mille années » de Victor Segalen ? Le poète voyageur s’adressait à ces « barbares » qui ont bâti l’éternel : « Ils vénèrent des tombeaux dont la gloire est d’exister encore ; des ponts renommés d’être vieux et des temples de pierre trop dure dont pas une assise ne joue. » Mais la poète d’aujourd’hui ne va pas chercher ses ancêtres symboliques dans la Chine pétrifiée de l’empereur Qin. Elle va dans l’Égypte romanisée du Fayoum, dans l’Italie étrusque, où règne l’ombre de celle qui a vu…
... Les petits chevaux de Tarquinia qui ont emmêlé leurs pattes aux filets et sont restés incrustés dans le sable…
... ou dans l’Italie grecque de la tombe du plongeur de Paestum.
Pour parler du souvenir, de l’amour éternel, de la transmission de la vie et du regard savant et artiste, le(s) peintre(s) et le(la) poète doivent créer des symboles.
Tu te souviens, quand nous l’avons retrouvé, posé sur la neige, alors qu’il serrait contre lui cette seule rose. Elle avait gardé du sang sur ses pétales et le cœur battait dans la rose.
Accompagnant le tableau, perpétuant un visage disparu mais dont l’image reste présente, est posé un vase avec une rose. Cette fleur brille encore du rouge de la vie, elle est immortelle — elle est changée chaque jour. La rose est posée sur la table usée. Près de là, un mur où le plâtre fêlé permet au jour de passer et d’apercevoir l’ombre d’un arbre mort abritant la balançoire et le banc pourri par la pluie qui abritait la cabane de la petite fille habillée de tulle blanc. Comment sauver un temps qu’on ne veut pas perdre ?
Il faut créer des légendes, celle de la troisième rose qui a perdu son sang et ses pétales dans la neige, celle de la fresque qui garde le souvenir de la rose rouge qui demeure le cœur de l’enfance. Les enfants qui ont couru comme des indiens avec leurs boucliers de couleurs sont devenus des taches engluées dans le pigment de la fresque.
Les enfants ont donné des couleurs au visage. Ils ont fardé le visage des couleurs de la vie avec le sang de la rose rouge.
La légende du peintre — il a hérité de tous les souvenirs de toutes les Italie : l’égyptienne, la grecque, l’étrusque — doit être reprise et transmise par celui qui a posé son chevalet face au visage et qui a peint son premier tableau.
[Jean-Paul Louis-Lambert]
Béatrice Bonhomme, Variations du visage & de la rose, avec un frontispice de Stello Bonhomme, L’Arrière-Pays, 8 €.