Si la représentation ondulatoire imaginée était correcte, il serait mathématiquement possible de créer les “harmoniques », les vibrations multiples qui expliqueraient par exemple les mélopées apocalyptiques émises par Tim Gick. C’est chouette les concerts à la Mécanique ! Souvent une bonne programmation et on a de bonnes chances d’être déjà bourré avant que le deuxième groupe ne commence vu que le bar est là pour vous le rappeler. C’est ce que j’ai fait. Il fallait quand même gérer la descente d’escalier et le virage mais tout cela s’est très bien passé. Tonnante situation que de se retrouver dans cet espace confiné, même pas plein à craquer, pour assister au concert de TV Ghost.
TV Ghost, connaissais mais jamais vu en vrai. Quand j’ai écouté, ça a commencé par le très cuisant Atomic Rain, avec ses airs surf rock psychobilly punk garage qui évoluent dans une frange noise lo-fi et radicale art punk pour finir en batcave Hacienda84 (on pense à Birthday Party) aux relents atmosphériques et tout ça… Tout un programme, hyper excitant faut dire, toute une continuité historique finalement incarnée dans le parcours d’un groupe : des « jeunes débilos de 17 ans qui font un truc hyper violent », pour reprendre les termes (non certifiés) du groupe/entité appelé Cheveu, qui était, à l’issue d’une tournée américaine, rentré à la maison impressionné par le souvenir de leur prestation.
D’un point de vue historiciste, à l’image de la contribution du post-punk à l’émergence de nouveaux courants musicaux à la fin des années 80 dont le rock gothique et la coldwave, l’album Disconnect se présente comme une bonne restitution de ce jalonnement progressif.
Pour bien retenir la leçon, et pour les férus de références dans le champ des grands noms, si on devait énumérer chronologiquement des noms, on penserait aux Cramps, aux Scientists, puis on chercherait l’inspiration plus du côté des Anglais de Wire ou The Cure, sans oublier la voix du chanteur d’Echo and the Bunnymen (j’étais d’ailleurs en train de rêver cette nuit que je m‘entretenais avec un pote et qu’il essayait de me convaincre que Gick n’avait pas la voix de Ian McCulloch mais celle de Faris Badwan chanteur des Horrors. On a fini par se bagarrer !). Je n’ai jamais compris, étant gosse, dans les fanzines et magazines, pourquoi tant de chroniqueurs aimaient se raccrocher à des noms et à des groupes balisés dans le champ de l’histoire… Mais finalement tout n’est bien souvent que rupture ou continuité par rapport aux figures du passé, et puis c’est quand même vachement plus aisé pour expliquer ce que c’est, même si on rêve toujours d’autoréférentialité… Maintenant je sais et c’est exactement ce que je fais.
Dans les morceaux de l’album Disconnect, sorti en 2013, qui étaient largement représentés hier soir à la Mécanique, le côté âpre, brut et lo-fi des premiers s’estompe un peu au profit de sonorités plus enveloppées, plus d’atmosphères, avec du bon shoegazing bien exciting. Au début étaient la violence, le primitivisme et la radicalité C’était plus sale et plus radical. On peut le regretter… Mais on se réjouit encore de la voix caverneuse de Tim Gick, tremblante, tel un écho, (je l’assume sans lourdeur), Une voix plus complaintive toute en intériorité. Dans l’album Cold Fish (2009), sa voix s’étouffait et recrachait puis au gré des albums suivants, elle se faisait plus intérieure, ectoplasmique (oui mais encore ?), une manifestation fantomatique médiumnique. TV GHOST !!!!!!!
Je trouve que c’est dans l’album Mass Dream (2011) que l’on peut apprécier toute l’étendue de son talent, notamment dans le beau morceau The Winding Stair que j’aurais bien voulu voir interprété. Tim a, juste là, la voix vacillante de chanteur outsider, à la Johnny Arcesia, voix très haut perchée parfois, au vibrato tremblant, chancelant, muant comme un puceau dans le grand froid et encouragé par la profondeur instrumentale du morceau.
Pour Disconnect, pourra-t-on parler d’album de la maturité ? Allez, faut pas charrier ! Mais il y a néanmoins des trucs bien. Je préférais cependant la fermeté d’un Wired Trap, qui a d’ailleurs été superbement interprété hier, dans Mass Dream (toujours envie de dire mass média à la place, allez savoir pourquoi). On pense au Communisme Anarchisme Nihilisme (CAN) avec ce gout pour la répétition des rythmiques basse/batterie, ce côté expérimental lancinant. Les raids de guitare, les guitares raides, tout cela est bien géré. Au final il y a une vraie cohérence des morceaux. Tout semble fou et déséquilibré, mais aucune piste ne s’effondre dans l’anarchie complète et, plus le temps passe, plus les morceaux respirent. Mais ce n’est toujours pas ça, la maturité.
Je retiens de cet album et du gig la brume enveloppante de Five Colours Blind, un titre peut-être emblématique de l’orientation nouvelle du groupe ; The Veils, bon morceau gothico-minimalisto-krauto ; puis le bon enchaînement Placid Deep à l’intro qui rappelle le son quintessent, que j’aime tant, des Cure ; et enfin un Elevator aux accords simples et répétitifs si caractéristiques d’un Thurston Moore.
Encore un fatras de références dont on aimerait se passer finalement pour ne distinguer que ce qu’il y a vraiment en eux. Et si on les détrousse on voit qu’il y a de la beauté dans ce foutoir, une émergence dans le chaos, de la totalité retrouvée dans la disjonctivité, mais je pensais le sentir plus intensément hier soir. J’espérais éprouver cette sensation supramondaine qui viendrait jaillir en moi et sur scène mais à force de trop attendre cet effet n’a jailli que mon portable qui s’est fracassé au sol, alors que je tentais vainement d’enregistrer leur son, faisant aussi couler ma pinte en me baissant pour l’attraper. En me redressant, le sang a afflué au cerveau, ce qui m’a un peu fait trébucher et sourire bêtement, du coup j’ai regardé autour de moi pour voir si cette action non coordonnée avait été repérée et j’ai vu Tim avec les yeux blancs révulsés et les autres très stoïques continuer à jouer.
Mais je les reverrai en concert, ouais ouais !
Ah ! Aussi ils ont fini par Crest, une reprise de Stereolab ! That…. was cool man!