Depuis quelques semaines, on entend parler de Concorde…
Le 2 mars dernier, on a fęté les 45 ans de son premier vol. Avant ça, il y a eu ce triste jour du 17 février oů l’on a appris la disparition d’Edouard Chemel, célčbre commandant des Concordes présidentiels et auteur de nombreux ouvrages ŕ succčs consacrés au supersonique franco-anglais. Enfin, prochainement, le 14 mars, avec de nombreux autres avions légendaires, ce superbe appareil fera son entrée dans le hall principal d’Ť Aeroscopia ť, futur musée de l’Air et de l’Espace Toulousain, qui ouvrira ses portes en octobre 2014.
L’époque du Ť buzz ť battant son plein, sur de nombreux réseaux sociaux/blogs/forums, on a pu lire toutes sortes de revendications de passionnés. Parfois pleines d’espoir, parfois sous forme de coups-de-gueule, une des réflexions parmi les plus redondantes chez les inconditionnels du Ť Sun Chaser ť a été la suivante : Ť Il faut faire revoler Concorde ! ť.
Malheureusement, c’est impossible et il convient de tordre le cou ŕ une idée reçue : non, ce n’est pas qu’une histoire de gros sous !
Si Alexandra Jolivet est aujourd’hui mécano sur les Boeing 777 d’Air France, elle est également bénévole au musée de l’Air et de l’Espace (MAE) du Bourget, oů elle est ŕ la tęte d’une équipe de cinq personnes, toutes spécialisées dans la mécanique Concorde. Pour elle, s’occuper du Ť Sierra Delta ť était une évidence puisqu’elle a longtemps travaillé sur cet appareil, lorsqu’il était en service. Autant dire qu’elle le connaît bien. Son travail au MAE s’apparente en quelques sortes, ŕ celui d’un conservateur de musée spécialisé, et c’est grâce ŕ elle, notamment, que Concorde peut encore ętre mis sous tension électrique et que les visiteurs peuvent encore admirer son célčbre nez s’abaisser et remonter…
Quand on demande ŕ cette grande passionnée et experte, si le supersonique revolera un jour, sa premičre réaction est de rire. Mais, ce qu’elle explique ensuite fait l’effet d’une douche froide, et, est sans ambiguďté : Ť Au risque de décevoir beaucoup de gens, c’est impossible ! ť
Alexandra Jolivet explique que d’un point de vue mécanique, ce Ť projet ť est d’ores et déjŕ voué ŕ l’échec car Ť l’interface avion-moteur est morte ť et sans cette précieuse qualité, aucun appareil au monde ne peut prendre les airs…
Un exemple parmi d’autres : pour résister aux hautes températures, l’étanchéité des 13 réservoirs structuraux de Concorde était assurée par des joints en Ť Viton ť qui, depuis 11 ans, ont séchés et de ce fait, sont absolument inefficaces…
Au niveau de l’électronique, ŕ part pour les AICU*, qui sont numériques (premičre génération), tout est analogique ŕ bord. Or, ce savoir-faire étant aujourd’hui sur le point de s’éteindre – toute la documentation et les outillages ayant été littéralement Ť poubellisés ť en 2003 – qui serait ŕ męme de recréer de telles cartes aujourd’hui ?
Quid de l’instrumentation ? En 2014, plus aucun avion de ligne ne vole avec des pendules électro-mécaniques ! Comment former les équipages quand il n’existe plus aucun simulateur Concorde ? Et l’indispensable mécanicien navigant ? Comment apprendrait-il sa fonction ?
Que de savoir-faire perdus…
Une autre entrave, et non des moindres, ŕ une remise en état de vol de Concorde, demeure le fait qu’il n’existe plus aucune pičces de rechange, plus de documentations techniques avion-équipements et plus aucun outillage – ŕ titre d’exemple, 442 pages étaient consacrées ŕ l’outillage des moteurs Olympus 593. Pire encore, de nombreux sous-traitants qui fabriquaient certaines pičces maîtresses, n’existent tout simplement plus.
Et puis, faire revoler Concorde, męme ponctuellement, nécessiterait une Ť grande visite avion ť et un Ť overhaul ť d’un minimum de huit moteurs Olympus (quatre avionnés et quatre de secours). Et quand bien męme on arriverait ŕ rassembler ces réacteurs, un autre problčme se poserait : il n’existe plus aucune poutre dépose-GTR (Groupe Turbo Réacteur).
Ŕ ces arguments mécaniques, un fana nostalgique du supersonique répondrait : Ť Si un milliardaire passionné le souhaitait, ça lui coűterait cher, mais il pourrait faire revoler Concorde. On arrive bien ŕ faire voler des B-17, non !? ť.
Encore une fois, ce n’est pas qu’une question d’argent et concernant l’exemple des six B-17 encore en état de vol dans le monde, il faut garder ŕ l’esprit que ces appareils sont de conception plus ancienne, plus simple et rustique… Est-ce bien nécessaire de préciser que les B-17 ne disposent d’aucun systčme électronique ? Qui plus est, contrairement ŕ Concorde, il existe toujours un bureau engineering chez Boeing qui s’occupe du suivi des vols de B-17, effectue des maintenances, ou męme des modernisations de systčmes électriques, par exemple. L’existence d’un tel secteur pour le supersonique nécessiterait l’accord du constructeur, Airbus en l’occurrence, afin de remobiliser des équipes de suivi, chose que l’avionneur Toulousain refuse catégoriquement, pour des raisons évidentes de coűts, de temps et de compétences disponibles.
Rappelons qu’une heure de vol sur Concorde nécessitait… vingt heures de maintenance !
Ť Et si on ne le faisait voler qu’en meeting, au moins pour les trčs grandes occasions ? ť.
Outre les lacunes mécaniques et industrielles déjŕ évoquées, Concorde se heurterait au mur de la DGAC mais également, de part son pédigrée franco-britannique, ŕ celui de la CAA. Egalement, aucune compagnie d’assurance n’accepterait de signer un contrat et ce, męme pour quelques vols.
Autre exemple : au niveau du bruit des quatre Olympus 593. La législation européenne ayant évoluée sur ce point, nul doute que les 120 décibels, générées par Concorde ŕ chaque passage, causeraient quelques problčmes de voisinage…
Plus aucun appui industriel, plus d’appui logistique, plus de personnels navigants ni de possibilité d’en former de nouveaux, un constructeur dont la politique a évoluée et qui, en toute logique, ne donnera jamais son accord pour une remise en état : définitivement, Concorde ne volera plus, et le temps ne joue certainement pas en sa faveur.
Dans les musées, le simple fait de le maintenir dans un état présentable pour les visiteurs est déjŕ un travail de longue haleine. Et, ętre capable de pouvoir le mettre encore sous tension électrique, comme le fait Alexandra Jolivet et son équipe de cinq personnes au MAE du Bourget, est véritablement un exploit, surtout quand on sait que pour un simple feu de navigation HS, ces bénévoles sont obligés d’aller chiner des ampoules… jusqu’en Angleterre !
British Airways, en 2003, avait envisagé de conserver un Concorde en état de vol, pour les présentations en meeting. Malgré le fait que la compagnie Britannique disposait des compétences et de la logistique nécessaires, le projet fut abandonné. Trop cher, trop complexe…
Allons ! Oublions cette idée passionnante et par définition irréfléchie de voir un jour, Concorde reprendre les airs. Contentons-nous plutôt du souvenir et admirons ce bel oiseau blanc dans son hall d’exposition, et, saluons le travail acharné des conservateurs qui continuent ŕ faire vivre le ręve pour les visiteurs… męme un petit peu… męme s’ils ne se contentent que de regarder son nez descendre, ses feux clignoter et son cockpit s’illuminer… un peu comme si Concorde cherchait ŕ leur dire quelque chose. Quelque chose qui pourrait ressembler ŕ ceci : Ť c’était bien, hein !? ť.
Bastien Otelli – AeroMorning
(*) : AICU : Air Intake Control Unit. Calculateur qui commandait les volets des entrées d’air moteurs, destinés ŕ convertir la vitesse supersonique de l’air extérieur, en vitesse subsonique un fois dans le réacteur)