Résumons la situation : si un certain nombre de mécontents (en droit de l’être, d’ailleurs) prend d’assaut les bâtiments du pouvoir dans n’importe quel pays, les brûle et en prend le contrôle, ils doivent être félicités et encouragés.
C’est ce qui s’est produit ces jours-ci à Kiev, en Ukraine. L’Occident a, d’une voix unanime, chanté les louanges d’un coup d’État violent et sanguinaire, cherchant à faire passer un président élu dans des conditions régulières pour un « dictateur », de surcroit « sanguinaire ».
Mais tout cela ne change rien au contexte, que ce soit face à l’histoire ou aux faits réels.
À partir de cet instant, nous devons tous savoir qu’il n’y a plus aucune défense légale permettant de se prémunir de la subversion organisée de l’étranger contre un pays, quel qu’il soit. Que cela nous serve de leçon, à tous autant que nous sommes.
Tout cela est bien plus grave que l’époque, lointaine, où un président élu à la régulière était renversé et tué lors d’un coup d’État militaire. Il s’appelait Salvador Allende. Il avait remporté haut la main des élections démocratiques. Et il fut renversé, comme on le perçut immédiatement (mais comme cela ne fut prouvé que bien plus tard) par la CIA américaine. Mais à l’époque, la condamnation fut générale. Aucun dirigeant occidental d’alors n’eut le courage ou l’arrogance d’applaudir le général Pinochet.
L’oxymore vous plait ? Ce n’en est pas un. La tactique consiste à faire se soulever les mécontents. C’est la première étape . De quelle façon ? En achetant les chaines de télévision et les journaux. Autrement dit, en embauchant légalement des centaines de journalistes et de spécialistes de la propagande. En payant les salaires et les primes de centaines de professeurs d’université. En allouant des fonds à des centres de recherche et des fondations qui travailleront à temps plein pour organiser la révolte. Pacifique s’entend, et surtout, au sein de la jeunesse.
La deuxième étape consiste ensuite à passer à l’offensive à travers une série de manifestations. Peu importe qu’elles rassemblent peu de monde. Les médias se chargeront de les amplifier [artificiellement]. Il y aura bien quelques accrochages dans la rue. Ceux-là aussi seront amplifiés par les télévisions locales et les grands médias internationaux. En général, les gouvernements qui se verront qualifiés immédiatement de dictateurs sanguinaires, ne sont pas préparés à y faire face. Ils ne connaissent pas bien les stratégies de communication de l’Occident. S’ils ne répriment pas, ils devront céder rapidement. S’ils répriment, ils feront le jeu des Gene Sharp et compagnie. Les bonnes gens verront du sang et seront persuadés que le dictateur est véritablement sanguinaire. Et les protestations ne feront que croitre, alimentées par le soutien des gouvernements étrangers, tous démocratiques et prospères. Jusqu’à ce que la répression commence vraiment. Mais il sera trop tard, car l’ensemble de la société « civile » se sera alors rangée du côté de la défense de la « démocratie ».
Le reste n’est qu’un désastre, dont nous sommes aujourd’hui spectateurs. Une crise mondiale, qui donne la chair de poule. Et la falsification totale des événements, organisée par les médias mainstream occidentaux. Malheureusement, il est fort probable que nous allions vers la guerre. La caisse de résonnance des ignorants et des meneurs devient assourdissante : toute la faute revient aux Russes, et à tous ceux que l’on peut mettre au pilori. La russophobie se combine à l’anticommunisme, même si le communisme n’a absolument rien à voir dans cette affaire, si ce n’est en termes historiques. La foule est suffisamment abrutie pour aller à la guerre, tête basse. Sans même comprendre de quoi il s’agit, ni pourquoi elle y va. Un cas d’école.
Je me demande bien comment il se fait que personne n’a encore eu l’idée de proposer Gene Sharp au titre de Prix Nobel.
De la Paix, bien évidemment.
Giulietto Chiesa, ilfattoquotidiano.it, mardi 4 mars 2014