Telle mère, telle fille !

Publié le 07 mars 2014 par Dubruel

ÉVELYNE SAMORIS (d'après Maupassant)

La comtesse Albina Samoris

Est une étrangère à clinquant

Comme il en pleut cent

Chaque année sur Paris.

Venue d’un pays valaque, hongrois

Ou je ne sais quoi.

Elle tient salon ouvert

Tous les soirs, 46 rue Auber.

J’y vais comme nous y allons tous

Parce qu’on y joue,

Parce que les femmes sont faciles

Et les hommes…vils !

Vous connaissez ce monde de flibustiers.

Tous nobles, à décorations variées.

Tous filous, hâbleurs,

Insolites et menteurs.

L’hôtesse, elle, est une aventurière,

Féline et facile d’abord.

Bien que rentière,

Elle a de beaux restes encore.

On la sent vicieuse jusque dans la moelle.

On s’amuse beaucoup chez elle.

On y joue, on y danse,

On y soupe, on y manigance…

Bref, on fait tout ce qui constitue

La vie mondaine pour un premier venu.

Mme Samoris a une fille, Évelyne.

Radieuse comme le soleil,

Elle valse à merveille.

Elle est grande, joyeuse, fine,

Blonde, frisée, élégante.

Mais naïve et innocente.

Elle ne voit rien,

Ne sait rien,

Ne comprend rien,

Ne devine rien

De ce qui se passe là où elle habite.

Voilà la suite :

Un jour, à ma porte, on sonne.

Je suis prévenu par ma bonne

Qu’un monsieur Cornélius Faté

Demande à me voir.

-« Qui est ce monsieur ? »

-« Un noir.

Ce monsieur

Doit être un domestique. »

C’était en effet un domestique

Qui voulait entrer à mon service.

-« D’où sortez-vous ? »

-« De chez la comtesse Samoris. »

-« Ah ! Mais chez nous,

Ça ne ressemble en rien à sa maison. »

-« Je le sais. C’est la raison

Pour laquelle je voudrais servir Monsieur.

J’y serai certainement mieux.

J’en ai assez de ses gens-là.

Ils passent mais ne restent pas.

Tenez, il y a un mois,

Un nouvel arrivant interrogeait

Un habitué, célibataire prolongé :

-‘’ Dites-moi,

Qui est cette jolie fille ? ’’

-‘’ La fille de madame Samoris.’’

-‘’ Et son père ?…‘’

-‘’ Un russe, parait-il,

Le comte de Kracolis ;

Ils ne se voient d’ailleurs plus.’’

-‘’ Quel est le prince régnant actuellement ? ’’

-‘’ Regardez ce gros lord

Debout près de Cornélius,

Mme Samoris l’adore.

Faut dire que les amis

Sont nombreux ici.

Ils sont tous appelés…et presque tous élus.

Cela coûte beaucoup d’écus,

Mais bah ! ’’

-‘’ Samoris,… où a-t-elle pris ce nom-là ? ’’

-‘’ D’un banquier suisse,

Samuel Morice.’’

Évelyne avait tout entendu !

Elle rapporta à sa mère le propos.

La comtesse nia aussitôt.

Mais Évelyne, éperdue,

Lui répondit :

-‘’ Maman, je me tue

Si tu ne changes pas de vie.’’

Pourtant les canailleries

Se poursuivent chez Mme Samoris.

Or figurez-vous, monsieur, qu’hier,

Évelyne a surpris sa mère

Au lit avec le lord anglais.

Peu après, elle se tuait

D’un coup de pistolet. »

J’ai embauché Cornélius Faté

Comme valet.

Ce suicide, nul ne l’a jamais commenté.