Il existe un endroit en Inde, dans la ville de Vrindavan, dans la région de l’Uttar Pradesh, dont nous parle l’auteur de L’âge de Kali, William Dalrymple, qui est un des hauts lieux saints de l’Inde, petit paradis pour le dévot, enfer pour d’autres. A la découverte de ce lieu hors du commun.
La foi permet souvent de voir beaucoup de choses qui demeurent cachées au non-croyant. Aux yeux de la plupart des visiteurs profanes, Vindavan semble n’être rien de plus qu’une ville marchande du nord de l’Inde, en piteux état, aux rues poussiéreuses encombrées de vaches, de mendiants, de bicyclettes et de rickshaws. Mais pour le pèlerin pieux, c’est la résidence de Krishna, et donc — en ce sens du moins — un paradis terrestre qu’embaume le parfum des tamariniers et des arjuns.
Les hindous dévots croient que Krishna est encore présent dans cette ville aux palais en ruine et aux ashrams fourmillant de pèlerins, aux égouts du ciel ouvert et aux étals exposant des lithographies de l’Enfant Dieu, aux couleurs vives. Un vieux sadhu, rencontré au bord de la rivière, m’a dit qu’en prêtant l’oreille avec attention, on peut encore capter les accents lointains de la flûte de Krishna. Le matin, ajouta-t-il, on peut parfois entrevoir le dieu se baignant en bas des ghats ; le soir, on le voit souvent se promener avec Radha sur les berges de la Yamuna.
Chaque année, des centaines de milliers de dévots hindous viennent à Vrindavan et suivent, pieds nus, le parikrama qui, passant devant la plupart des temples et des lieux saints, mène à la Yamuna. La plupart se rendent ensuite à un autre lieu de pèlerinage voisin : Govardhan, une montagne que, selon la légende, Krishna utilisait comme ombrelle en la soulevant avec son petit doigt. Ce n’est qu’une petite colline, mais cela ne trouble pas les pèlerins ; ils savent que plus le mal prolifère dans le monde, plus la montagne diminue.
Certains de ceux qui viennent à Vrindavan n’en repartent plus. Car beaucoup d’hindous croient qu’il n’y a pas, dans toute l’Inde, de lieu plus saint et que c’est là qu’il convient donc de passer ses derniers jours.
William Dalrymple, L’âge de Kali
A la rencontre du sous-continent indien
Libretto, 1998
Pourtant, dans l’Inde d’aujourd’hui, cette ville porte une histoire triste et est devenue le théâtre d’un véritable drame humain qui touche directement la population féminine d’un pays qui, s’étant débarrassé de quelques unes de ses lois les plus iniques (les castes), a plongé toute une population dans une situation horrible. En effet, les veuves, autrefois, avait comme obligation à la mort de leur époux de pratiquer la coutume séculaire de la sati, qui consistait à ce que la femme soit immolée par le feu en même temps que son époux sur le bûcher lors de la mort de celui-ci. Dans la tradition hindoue, la femme perd son statut à la mort de son mari. Ce pratique de la sati (littéralement femme bien, ce qui implique que si elle n’est plus sati, c’est une mauvaise femme…) désormais interdite a créé les conditions d’une situation impossible pour ces veuves puisqu’elles sont désormais rejetées par leurs enfants, envoyées à la rue comme des mendiantes, quelle que soit leur condition et c’est dans cette ville qu’elle se retrouvent, vêtues de blanc sale, le crâne rasé. Pour les plus jeunes d’entre elles, et peut-être aussi les plus belles, elles sont mises à la disposition des gangsters ou même de certains sadhus indélicats qui alimentent ces trafics dans les ashrams de Vindavran. Une fois abîmées, elles sont alors revendues dans les bordels de Dehli. Une situation atroce pour ces milliers de femmes à qui on confisque tout une fois leur mari décédé, et qui vient presque à se poser la question de savoir si la sati n’était pas une tradition qui avait au moins le mérite de ne pas permettre une telle humiliation.
La petite ville provinciale de Vindavran devient alors le révélateur d’une dégradation sociale pas forcément visible, mais qui se concentre ici et devrait faire réagir les forces publiques, désormais tenues par des escrocs et des bandits.
Lire cet article sur le site de l’Express, ainsi que sur le site Mes carnets d’Asie.
Photo d’en-tête © Somebody