Par Michel Desgranges.
Nicolas Sarkozy et Patrick Buisson.
Fondateur et directeur des Nouvelles littéraires, Maurice Martin du Gard fréquenta entre les deux guerres, plus ou moins intimement, tous les écrivains d’un temps où s’épanouissaient de multiples talents, ainsi que des hommes politiques qui pouvaient être néfastes ou nuisibles, mais étaient des hommes de vraie culture (ce temps est révolu). Pour garder le souvenir des propos qui lui étaient tenus, Maurice Martin du Gard s’empressait, dès qu’il se retrouvait seul, de noter ses conversations, avec fidélité. L’exercice demande certes une excellente mémoire, mais surtout une rare capacité de retenir et transcrire, parmi les phrases prononcées, celles qui peignent, caractérisent l’interlocuteur, permettront de le faire revivre tel qu’il est, et par ses propres mots.
Maurice Martin du Gard possédait au plus haut point ces qualités, elles lui permirent d’écrire Les Mémorables, ouvrage où l’on voit et entend Valéry, Barrès, Mauriac, Morand, Montherlant (et cent autres…) comme s’ils étaient présents, ouvrage qui est un chef d’œuvre.
Hélas, tout le monde, et surtout le tout le monde qui veut garder trace de conversations, n’a pas la même intelligence des hommes, qu’à cela ne tienne, la technologie peut désormais suppléer aux limites de l’intellect.
Entre donc en scène un petit appareil nommé dictaphone qu’il suffit de glisser dans sa poche puis, lorsqu’apparaissent des hommes et des femmes dont on devine, en les voyant ouvrir la bouche, qu’ils vont parler, il suffit d’appuyer sur un bouton et l’engin enregistrera, au besoin durant des heures, tous les mots échangés (ainsi que les bruits de fond).
L’utilisation d’une telle machine est à l’origine d’une tempête politico-médiatique (breaking news, titres de Une, émissions spéciales, discours à la Chambre, interpellations-dénonciations-indignations, etc.) qui a fait disparaître de l’actualité chômeurs-chômeuses, russophiles et russophobes, échéances électorales, copulations présidentielles et même la délicieuse Leonarda.
Pour qui préfère relire Thomas d’Aquin plutôt que tendre l’oreille au bruit du monde, rappel des faits.
Un ancien Président, homme brouillon et indécis sur les actions à entreprendre quoiqu’en permanence fort agité, avait un conseiller chargè de lui révéler en quel sens soufflait le vent des sondages et de lui donner quelques conseils à propos de menues péripéties politiques. Ainsi, ce conseiller fréquentait régulièrement ce M. Président, ainsi que son entourage et une nouvelle épouse succédant à une épouse répudiée, rencontres dont il eût été dommage de ne pas conserver la teneur pour l’Histoire, la suite se devine : le conseiller se rendait aux réunions en prenant soin d’avoir sur lui, dissimulé dans son vêtement, un dictaphone (avec une pile neuve), appuyait sur le bouton on…, et n’enclenchait off que lorsqu’il était, enfin, seul.
Au fil des mois, les enregistrements s’accumulèrent dans la chambrette du conseiller, jusqu’au jour où un revers électoral ayant envoyé à la retraite (provisoire ?) ce Président, notre homme cessa de conseiller, et d’enregistrer.
Les mois passèrent.
Puis soudain, c’était il y a deux jours, des extraits de ces enregistrements furent publiés par un hebdomadaire-satirique-du-mercredi, et un bidule en ligne qui aimerait être un journal.
Comment ces enregistrements arrivèrent-ils à ces publications ? De mauvaises langues rappellent que, sous un prétexte futile, des argousins de la police politique de l’actuel Président avaient fait irruption au domicile de l’ex-conseiller pour perquisitionner, c’est-à-dire fouiller dans ses affaires et, peut-être, peut-être… s’emparer de… de quoi ?
Cette question n’est guère posée par les actuels commentateurs qui crient au scandale, pas plus qu’ils ne réclament que les journalistes, en l’occurrence peu soucieux d’informer, ne disent à leurs lecteurs de qui ils ont reçu les fameux enregistrements (à qui soulèverait l’exception du secret des sources, répondons que les enregistrements ont été volés, et que les journalistes sont des receleurs).
J’ai lu les enregistrements publiés, ce sont des propos futiles (small talk diraient des Américains), dont l’intérêt est aussi nul que leurs auteurs, et pourtant, quel scandale, quelle affaire d’État !
Il ne s’agît pourtant que d’une historiette privée : si le conseiller a « enregistré » à l’insu de ses interlocuteurs, il n’a commis qu’une indiscrétion (qui aurait d’ailleurs dû rester ignorée), et n’est qu’un goujat, si le Président et tutti quanti en ont été avertis, il n’y a aucune entorse au plus laxiste savoir-vivre.
Et pourtant, les députés de la majorité (socialiste) réclament la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la prétendue affaire – plus tard, les historiens (s’il en existe encore) disserteront sur l’étonnante propension des élites de l’an 2014 à croire qu’existent les riens transformés en montagnes par leurs propres discours, tout en ignorant ce qui réellement importe au peuple (souverain – ???).
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Sur le web.
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