Nathalie Nougayrède signe dans le Monde daté du 7 mars un excellent éditorial sur les « leçons ukrainiennes »
Certainement sans que cela ait été son intention, il s'en dégage quelque chose de préoccupant pour nous : l'Europe, dans cette affaire, comme cela devient pratique courante, est une sorte de vieille tante jadis appréciée, qu'on consulte pour la forme et le respect des bonnes mœurs familiales, puis, sans même attendre qu'elle ait terminé sa réponse, on passe dans la salle d'à côté, sans elle, pour échanger des avis entre gens qui comptent.
Quitte à l'envoyer ensuite parler en public pour exposer dans son beau langage chic les décisions prises sans elle.
L'affaire ukrainienne, qui pourtant prend en otage tout le territoire européen, se joue essentiellement entre la Russie et les États-Unis, seuls ayant les moyens économiques -et plus si besoin était- de faire « entendre raison » au très sournois et fort habile néo-tsar Vladimir.
L'Union Européenne, avec son gouvernement aux nombreuses têtes (présidence de l'UE, présidence de la Commission, présidence du Parlement) mais exercé en réalité par le Conseil (des Chefs d'État et de gouvernement), en d'autres termes par le minimum commun dénominateur des intérêts nationaux des membres de l'Union -et principalement des plus grands, en tête desquels, l'Allemagne- n'a en aucune manière la puissance, pas même l'apparence de la puissance, qu'il faudrait pour être un acteur de premier rang dans des affaires de l'importance de la crise ukrainienne.
Pourtant, dans cette affaire, peut-être plus que dans toutes les crises précédentes, c'est son statut qui se joue. Ce monde, qui tournait déjà un peu trop vite pour son prudent pas de vieille dame, est face à une crise « identitaire » si l'identité se mesure par la capacité d'être au premier rang par elle-même et non d'être un faire valoir des vrais puissances de l'Occident. Une affaire, donc, d'où elle peut sortir fortement et fatalement racornie.
Cela devrait se jouer très vite, quel que soit le résultat des prochaines élections européennes de juin.
L'Union Européenne joue à l'élastique entre une Allemagne menée par Madame Merkel d'un très prudent et lent pas de bon gestionnaire sans vision immédiate du futur (elle l'a prouvé en retardant toutes les décisions qu'imposait la crise économique et monétaire au nom de la « bonne gestion » à l'allemande) ; d'un dramatique Cameron, usant de toutes les excuses que peut lui servir le chronique et bruyant (pas forcement majoritaire) euroscepticisme anglais, qui n'a in-fine d'autre mission que de sauvegarder la place financière de Londres ; d'hommes tels le Sarkozy new-look, prêts à abandonner toute notion d'une Europe Puissance pour tenter une réélection en France et même d'un François Hollande qui ne parvient pas à se libérer de son passé « synthétiseur » pour assumer totalement l'envergure qui se cache dans les replis de la Présidence de la République.
Sur cette route, pendant que se positionnent pour le futur une Russie qui, avec ou sans Poutine, ne lâchera pas son ambition de redevenir un des acteurs de tête du monde ; une Chine qui se voit déjà, sur beaucoup d'aspects avec raison, comme la première puissance mondiale d'ici 10 à 20 ans ; les États-Unis, encore première puissance mondiale et que, malgré ses désastreux jeux internes entre présidence et membres du Congrès, a tous les moyens de rester dans le peloton de tête, sur cette route, donc, l'Europe devra choisir : être une entité unie, forte de l'union de ses peuples, ou un riche club de « petits joueurs » ; tout à fait ce que l'on nomme en anglais : des « peanuts »
© Jorge