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Victime (posture de la)

Par Marc Traverson

Victime

Quoique j'avoue ne disposer d'aucune statistique fiable qui le démontrerait, il suffit de lire la chronique politique et judiciaire (à vrai dire, elles tendent à se confondre) pour constater que se poser en victime est aujourd'hui la manière la plus courante pour tenter d'établir un rapport de forces à son avantage. Un moyen habile et paradoxal, on en conviendra, puisque cette posture consiste à faire état de sa faiblesse, de son malheur, de l'injustice qui nous frappe et nous fait souffrir. Cela semble le contraire du beau rôle. Mais c'est une position très forte, et c'est pour cela qu'elle est tant recherchée.

Faut-il parler d'une dissuasion du faible au fort ? Ce qui est sûr, c'est qu'en choisissant la position du dessous, en se déguisant en perdant des luttes de la vie, la victime espère provoquer deux mouvements chez autrui, à son bénéfice.

D'abord, un désamorçage de la violence, en vertu de l'adage : on ne tire pas sur une ambulance. Il s'agit donc d'un bouclier de protection érigé contre les humeurs belliqueuses d'un autre redouté, une tentative pour vider de sens et d'objet sa volonté d'en découdre. À quoi lui servirait-il de passer à l'acte, puisque la punition a déjà eu lieu, le mal est déjà fait : il peut économiser son ire, et s'épargner l'inconvénient d'une action hostile.

Le deuxième bénéfice est également tactique. Il s'agit de se placer au centre du jeu relationnel. Le petit enfant qui pleurniche et lance des signes de détresse à sa mère dès que celle-ci fait mine de s'intéresser à autre chose qu'à lui est en train de s'exercer à tenir ce rôle tellement riche, follement sexy. Une victime, c'est intéressant ! Cet état attire naturellement l'attention car l'être humain est ainsi fait que nous avons de la curiosité pour le Mal, nous cherchons si l'occasion se présente à en connaître les modalités, l'intensité, les voies par lesquelles il se révèle - côtoyer une victime est, en ce sens, une source d'apprentissage. Et puis - surtout - ce que la victime propose implicitement, c'est de jouer à un jeu très excitant : le Jeu du Sauveur. Elle fait miroiter une belle gratification narcissique en suggérant à qui s'approche d'endosser le costume de chevalier blanc, de meilleure copine compatissante, de brillant conseiller, d'apporteur de solutions, etc (rayer la mention inutile).

La question qui vient à ce stade, considérant à quel point la position victimaire est valorisée dans la société actuelle, c'est : pourquoi ? Étrangement, il semble que la montée générale du cynisme s'accompagne, comme par un phénomène de vases communicants, d'une mise sur un piédestal de la position victimaire. Et de fait, il y a un lien : la position victimaire est de celles qui permettent d'échapper à la responsabilité. Or le sens des responsabilités est justement la peau de chagrin de notre époque. Assumer son rôle et sa fonction, en cas de manquement ne pas chercher à se défausser sur tel ou tel coupable extérieur, respecter sa propre parole, voilà des comportements frappés d'obsolescence. Voilà le terreau "moral" sur lequel fleurissent les tentatives d'auto-victimisation.

Cette posture victimaire (qui, on l'a compris, n'a rien à voir avec le statut de victime d'une violence ou d'un délit) est une manière de faire à tout prix diversion : Maman, au secours ! On m'en veut, ils sont tous méchants ! Mais, pour autant qu'il s'origine dans une défense infantile, le choix de cette posture doit être reconnu pour ce qu'il porte de perversité. Car on le sait, qui se porte en victime ne tardera pas, si son stratagème fonctionne, à appliquer son programme secret : se muer en bourreau.


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