Le virtuose malien du kamele ngoni, le luth des griots, Pedro Kouyaté, s'envole dans les prochains jours pour une nouvelle tournée au Japon, où il a des fidèles depuis le tournage du documentaire "Foly", qui a été fort bien accueilli là-bas. Basé à Paris, le musicien se produit (notamment) dans le métro, qu'il compare à un "atelier", tout en préparant parallèlement la sortie de son quatrième album...
(Photo : Sophie Comtet-Kouyaté)
Lorsque vous n'êtes pas en tournée, c'est aujourd'hui à Paris que vous résidez. Quand vous y êtes-vous installé ?
J'ai découvert l'Europe grâce au bluesman malien Boubacar Traoré, qui avait besoin d'un calebassiste et m'a recruté au début des années 2000. A l'époque, je jouais avec Toumani Diabaté au sein du Symetric Orchestre. J'avais eu cette chance de beaucoup tourner avec eux, mais je n'avais qu'une connaissance très empirique du métier. J'ai donc souhaité repartir de zéro, en allant jouer dans le métro, avec l'idée de faire peu à peu mon trou. L'envie de fonder une famille également, ce que j'ai fait.
Et malgré la sortie de trois albums, vous continuez à jouer chaque jour dans le métro.
Oui, mais je ne suis plus au même endroit (rires). Au départ, je jouais dans une station près de chez moi, mais au bout de quelques mois, j'étais devenu le griot du coin et ne pouvais plus jouer. On n'arrêtait pas de venir me parler… J'ai donc été obligé de changer de lieu (rires). Pour moi, le métro, c'est comme un atelier. J'aime avoir un lieu où m'asseoir et travailler. Je suis un peu comme un peintre qui aime entrer en contact avec la matière. J'aime travailler de manière empirique. Je m'imbibe des gens que je rencontre.
Le métro vous a aussi permis de faire la connaissance de l'un de vos musiciens…
J'étais devenu copain avec les enfants de Florent Dupuis, qui venaient souvent m'écouter. Je ne savais pas que leur père était saxophoniste et que nous finirions par jouer ensemble, pendant huit ans, au sein du même groupe, le Mandinka Transe Acoustique, que j'ai créé en 2006. Sont venus se greffer le bassiste Nelson Hamilcaro, que j'avais découvert au New Morning, et le batteur Renaud Ollivier.
Après votre concert de samedi, à Plabennec, vous mettez le cap sur le Japon pour une tournée de douze concerts. Ce ne sera pas une première ?
En effet. Mon épouse, Sophie Comtet-Kouyaté, est réalisatrice, et son film "Foly", produit par Akina et TV5 Monde, a été très bien accueilli là-bas. Un noir américain vivant au Japon en avait vu des images sur le Net et nous a contacté. C'est ainsi que je suis allé y jouer une première fois en 2012.
Vous vous dites très attaché à Siby, village natal de votre mère.
J'y retourne encore aujourd'hui, entre deux tournées, pour m'y ressourcer. Les habitants des petits villages africains aiment bien en général recevoir les citadins. Ce que j'étais puisque j'ai grandi à Bamako. C'est là que j'y ai fait mes études de socio-anthropologie. A Siby, j'étais accueilli par mes oncles, qui m'ont introduit au sein de la confrérie des chasseurs. Chaque village disposait ainsi de plusieurs confréries - chasseurs, cultivateurs, guérisseurs, etc. - dont le rôle était de protéger le village et de favoriser la cohésion sociale. La société africaine était organisée ainsi.
C'est au contact des chasseurs de Siby que vous avez développé votre expertise du kamele ngoni, le luth des griots ?
J'ai en effet participé à de nombreuses veillées de chasse, où nous chantions beaucoup. Se retrouver ainsi dans la jungle avec ces chasseurs fait naître des sensations incroyables. La communion entre l'homme et la nature y est si forte. Ils connaissent la littérature de la forêt. La musique des chasseurs est unique, tout comme les instruments dont ils se servent; ça m'a beaucoup inspiré.
Vous avez aussi beaucoup appris au contact du grand joueur de kora, Toumani Diabaté, à Bamako…
Dès la fin des années 1980, il fut mon maître, en effet. J'ai passé pas mal de temps avec lui et j'ai appris énormément à son contact. C'est un homme d'une grande intelligence. Il donnait beaucoup. Je me souviens que je n'osais pas jouer devant lui au début. Il savait se tenir en retrait et encourageait tous ceux dont il sentait qu'ils avaient du potentiel. Pour nous, il était le grand frère du quartier. C'était aussi la référence, celui qui allait jouer en Europe et recevait régulièrement chez lui des occidentaux. Mais jamais à l'époque n'aurais-je imaginé devenir musicien professionnel…
(Photo : Sophie Comtet-Kouyaté)
Vous voyez toujours vos mentors, Boubacar Traoré et Toumani Diabaté ?
Bien sûr, ce sont toujours mes grands frères (rires). Le deuxième vient me voir à chaque fois qu'il vient à Paris. Le premier m'a même invité à assurer sa première partie à Paris en 2011…
Vous préparez actuellement la sortie d'un quatrième album…
Le public m'y a encouragé. C'est d'ailleurs le point de départ de la campagne de financement participatif que j'ai lancée. J'écoute ce que me disent les gens dans le métro. Je suis ravi qu'ils s'approprient ce nouveau projet qu'ils contribuent à façonner. Nous devrions entrer en studio à l'automne et l'album sortira en décembre.
Pratique
La campagne de financement participatif sur Kisskissbankbank
Le site officiel de Pedro Kouyaté
La discographie de Pedro Kouyaté :
"One"
"Two You"
"Live"