En réponse au document "Le loup, 10 vérités à rétablir, la fin annoncée de l’élevage des moutons et une menace pour tous les animaux élevés en plein air", la Buvette vous propose les réactions croisées(1) de Pierre Rigaux (PR), Gérard Bozzolo (GB), Marc Laffont (ML) et Baudouin de Menten (BdM).
6ème "vérité"
"Non, cela ne se passe pas bien avec les loups dans les autres pays européens"
En Italie et en Espagne, le gardiennage des troupeaux fait partie du métier de berger, son efficacité n’est pas remise en cause, contrairement à la FrancePR: les syndicats d’éleveurs envient les pays qui mettent en oeuvre des “chasses au loup”. Mais abattre un loup ne permet pas d’éviter la prédation par d’autres loup ou des chiens, si les pratiques pastorales ne sont pas adaptées. Plutôt que cette course en avant des tirs de loups, il serait intelligent de travailler à des solutions alternatives aux tirs et plus viables à long terme. Il en va de la protection de la biodiversité, un enjeu qui n’a pas l’air d’intéresser ces syndicats agricoles.
BdM: Dans tous les pays, cohabiter avec une espèce qui a potentiellement comme proie, un animal domestique n’est ni simple, ni facile. Les pays qui ont toujours gardés des prédateurs, regardent l’intégrisme pastoral français comme une exception difficile à comprendre.
En Italie ou en Espagne, la priorité des éleveurs n’est pas de braconner ou de tuer des loups. Pour eux, la priorité, c'est la prévention. Le gardiennage des troupeaux et la mise en place de mesures de protection font partie du métier de berger qui a gardé son sens premier. Ce sont des pratiques inhérentes à l’activité pastorale et leur efficacité n’est pas remise en cause, contrairement à la France. Le problème du pastoralisme ne vient pas des prédateurs, mais du métier qui disparaît, avec ou sans eux, surtout sans eux..
De plus, je suis toujours surpris du simplisme de certains arguments. Il ne suffit pas de dire ou d’écrire “Je connais des éleveurs espagnols qui manifestent contre le loup" ou "Voici un berger italien qui tient un blog contre le loup” ou "Il y a plus de braconnage chez eux qu'en France", ce qui est incontrôlable, pour prétendre que “cela se passe mal” ailleurs et partout, “comme chez nous”. L’intransigeance française ("cohabiter est impossible") ou la politique de la chaise vide chère aux syndicats agricoles ou aux associations pastorales lors de chaque concertation n'est pas justifiable.
Il y a des cas difficiles à vivre partout. 80% des prédations sont concentrées sur 20% des troupeaux. Les éleveurs qui prennent la décision de tout faire pour diminuer leurs dégâts et qui décident de vivre “au mieux” la situation et de partager leurs territoires ne font pas de bruits, ne publient pas de communiqués, n’invitent pas la presse. Ils gèrent et protègent en bon père de famille et vivent avec les prédateurs, ils co-cohabitent le même territoire.
Il est facile de trouver des éleveurs mécontents partout. De plus maintenant, ils s'allient. Si certains crient fort, cela n’en fait pas une généralité. Vu le nombre de loups beaucoup plus important en Italie ou en Espagne par exemple, il est symptomatique de voir que le pastoralisme y existe encore et que dans chacun de ses pays, les éleveurs élèvent leurs propres races de chien de protection. Chaque race est revendiquée comme étant "la meilleure" pour protéger les troupeaux, et ils en sont fiers.
Par ailleurs, prédire que les prédateurs vont s’attaquer aux humains (attendre?) est pour le moins exagéré. Cette stratégie consiste à générer une panique et à s'attirer de nouveaux sympathisants parmi la population "des villes", pas toujours bien informée. Les catastrophes annoncées en France à grands cris, comme dernièrement au salon de l’agriculture, ne se passent ni en Italie, ni en Espagne, ni en Pologne, ni en Slovénie, ni ailleurs où les loups "pulullent", même s'il n'est pas impossible de trouver quelques cas rares d'attaques sur des hommes, cas dont le pourquoi est à analyser.
"Il est illusoire de penser que la cohabitation est harmonieuse en tout temps et tout lieux, même en Italie ou Espagne, deux pays souvent cités en exemple. Certaines frictions existent et y perdurent. En Italie notamment, la crise agricole est ressentie comme un adieu à la civilisation rurale traditionnelle. En cela, le ressentiment est assez proche de celui que l’on peut constater en France. Les changements radicaux de ces dernières décennies font peur, et expliquent « sans doute le besoin de faire front contre un ennemi commun, de resserrer les rangs face à un avenir incertain. Sur le plan symbolique, le loup permet d’exprimer le malaise et le mal-être de toute une catégorie socioprofessionnelle [...] Le loup apparaît comme un catalyseur, un exutoire. Ce que veulent les éleveurs, c’est exister, être reconnus »(2).
(1) Pierre Rigaux est naturaliste dans les Alpes-du-Sud ;Gérard Bozzolo est retraité, Ingénieur Agronome, ex-maître de conférences à l'Ecole Nationale Supérieure Agronomique de Toulouse ;
Marc Laffont est Technicien en agriculture et environnement, il dispose d'une maîtrise en Ecologie ;
Baudouin de Menten, écoconseiller est le webmaster de la Buvette des Alpages.
(2) (J.M SOTO, représentant du syndicat local des éleveurs, in Cahier Technique de l’ATEN n°69 « Vivre avec le loup des Asturies.
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