"Il était devenu quelqu’un d’autre"

Publié le 06 mars 2014 par Lana

C’est une phrase qu’on entend souvent dans la bouche des parents de schizophrène. A l’instant, je viens de l’entendre dans une émission grand public sur ce thème.

Mais c’est faux. On ne devient pas quelqu’un d’autre. On souffre énormément et ça change notre comportement, c’est vrai. Mais toute personne souffrante verra cette souffrance influencer son comportement. Etre de mauvaise humeur suffit à avoir un comportement jugé désagréable.

On entend aussi les parents dirent "il n’est pas celui qu’on avait imaginé". Mais qui est l’enfant idéal, qui correspond parfaitement à ce que ses parents avaient imaginé pour lui (pour eux)? Bien sûr, dans le cas de la schizophrénie, l’écart est plus grand. D’autant plus d’ailleurs que les parents idéalisent souvent ce qu’on était avant: "il était joyeux, intelligent, avait plein d’amis, etc"

On entend aussi, et c’est sans doute le pire: "j’ai perdu mon enfant".

Alors, encore une fois je révèle un scoop qui devrait être une évidence: nous ne sommes pas devenus quelqu’un d’autre.

J’aimerais savoir quel schizophrène a eu une enfance et une adolescence idéales, était un être joyeux, lumineux et sociable. Il y en a peut-être, mais je ne crois pas qu’ils sont très nombreux.

Nous ne sommes pas devenus quelqu’un d’autre, nous réagissons seulement à une souffrance que les gens ne comprennent pas, d’une façon qu’ils ne comprennent pas.

J’étais une petite fille réservée, timide même, qui trouvait l’enfance difficile et injuste, qui ne supportait pas d’être toujours à la merci des autres, de ne pas avoir le droit de décider pour elle-même. Je n’ai pas mieux supporté les injustices de la psychiatrie.  Je pensais que je ne savais rien faire, à huit ans j’ai découvert que je savais écrire. C’est donc par l’écriture que je me suis exprimée quand j’étais malade, quand j’étais mutique. A cinq ans, j’ai dit à ma mère que j’étais impatiente de savoir lire parce que ça voulait dire que je ne m’ennuierais plus jamais. Ce sont les livres qui m’ont maintenue en vie. Oui, même très malade, je lisais toujours. Mes études, mon travail sont liés à cette passion et c’est pour ça que j’ai eu le courage de me battre. Depuis petite, j’ai la phobie des papillons, et c’est donc cette phobie qui a nourri mes angoisses. Mes amies disaient "quand je serai mariée, quand j’aurai des enfants", moi j’ai toujours dit si, alors je n’ai pas été tellement étonnée de devenir folle et de m’éloigner de ce modèle. Je n’ai jamais aimé apprendre sans comprendre, j’ai toujours eu soif de connaissance, alors quand je suis tombée malade, j’ai lu tous les livres de psychiatrie qui me tombait sous la main.

J’étais malade. J’étais moi. Celle que j’avais toujours été. Face à une expérience inédite, terrible, qui m’a changée mais pas perdue. Je n’étais pas devenue quelqu’un d’autre. On ne me comprenait pas parce qu’on ne comprenait pas la schizophrénie, mais mes réactions avaient toutes une explication logique pour qui voulait se donner la peine de comprendre. Je me débattais comme je pouvais face à la folie.

Ce n’est pas parce que vous ne comprenez pas ce que vit une personne qu’elle n’est plus celle que vous avez connue, qu’elle n’est plus votre enfant. C’est vous qui ne la voyez plus, qui ne l’entendez plus, qui la rejetez même. C’est cela qui l’enferme dans sa folie. On ne parle pas à un schizophrène, on ne parle pas à sa maladie. Si on veut vraiment aider quelqu’un qui souffre de schizophrénie, on parle à la personne qu’elle est, on s’appuie sur ses ressources et son humanité. On regarde la personne qu’elle a toujours été.


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